email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

Comment coproduire avec l'Espagne

par 

- Le marché du film espagnol a montré une intense expansion au cours des dernières années, due au système actuel de subventions nationales. Malgré le généreux programme de subventions, l'incompatibilité entre l'Union européenne et les législations nationales, rend compliqué pour les partenaires européens de coproduire en Espagne. Une réforme urgente de la législation de l'Union européenne demeure une tâche prioritaire pour l'intégration culturelle en Europe.

1. La Chine de l'Europe

L'Espagne, jusque là synonyme de "corridas", "siesta" et "sangría", a entamé il y a dix ans un beau parcours dans le domaine des affaires, phénomène dont les effets sont très apparents sur le marché du cinéma. Entre 1990 et 2004, le nombre de films produits et de coproductions ont augmenté respectivement de 300% et de 500% et le budget moyen d'un film est plus élevé de 250% —des chiffres qui se passent de commentaires. Cette évolution du marché cinématographique espagnol résulte en grande partie d'un système de financement qui, s'il ne constitue pas une grande part de chaque budget, permet de financer partiellement presque tous les longs métrages produits dans ce pays.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)
Hot docs EFP inside

2. Le système de financement

A l'heure actuelle, le système de financement public de la production cinématographique se divise en deux grands blocs:
1. subventions de projets cinématographiques
2. subventions aux producteurs en activité

1. Les subventions de projets cinématographiques sont au nombre de trois:
1. L’aide générale à l'amortissement: elle attribue 15% de la valeur brute du box-office des 12 premiers mois, dans la limite de 901.518€
2. L’aide complémentaire à l'amortissement: elle fournit 33% de l'investissement du producteur (attention, cela inclut les préventes et les M.G.) dans la limite de 600.000€ maximum si le film atteint au moins 330.557€ de recettes au box-office. S'il s'agit d'une première ou deuxième oeuvre ou d'un film tourné dans une langue espagnole autre que le castillan (le catalan, le galicien ou le basque), le résultat minimum à atteindre au box-office diminue significativement.

Ces deux subventions sont automatiques et complémentaires. Si le producteur souhaite profiter des deux, le montant total accordé ne pourra dépasser 900.000€, somme qui ne peut pas elle-même dépasser 75% de l'investissement du producteur ou 50% du budget du film. Il faut cependant dire que le Ministère de la Culture espagnol permet aux sociétés de production de compter la valeur des frais d’édition (P&A) dans le devis du film, ce qui témoigne de l'excellente connaissance qu'ont le législateur et les bureaucrates espagnols de l'industrie. En procédant de la sorte, ils permettent aux producteurs de financer au moins une partie des dépenses que les distributeurs ne sont pas disposés à couvrir.

3. L’aide aux projets: soutien sélectif destiné aux films à petit budget ou expérimentaux et aux premiers et deuxièmes films. Son montant dépend de la loi de finance, mais jusqu'à l'année dernière, il ne pouvait dépasser 360.000€ (en 2003, la moyenne était 150.000€, somme doublée dès que le gouvernement a changé). Le décret du 7 décembre 2005 a modifié cette limite, la portant à 500.000€. Cette initiative du Ministère de la Culture a fait faire à l'industrie un pas en avant décisif.

2. Subventions aux producteurs en activité:
-Subvention pour la conservation des négatifs: soutien destiné aux producteurs qui s'attachent à conserver sur le territoire espagnol le négatif original du film (jusqu'à 50% du coût de l'interpositif ou de l'internégatif).
-Soutien à la participation aux festivals et marchés (à condition que le film soit sélectionné pour un festival international de première catégorie)
-Subvention destinée à couvrir certains frais. L'aide à l'amortissement est créditée au minimum un an après la sortie du film, après que l'audit ait été réalisé. De fait, pour les producteurs qui ont décidé d'être partie à tel contrat par le biais du traité ICO-ICAA pourront recevoir une subvention couvrant partie des frais découlant de cette transaction.

A ces aides financières s'ajoute un réseau complexe mais efficace d'incitations fiscales et de réductions d'impôts destinées aux producteurs (créatifs et financiers).

3. Co-produire avec l'Espagne

Si par sa formidable croissance économique, l'Espagne est la Chine de l'Europe, sa situation géographique et ses affinités linguistiques et culturelles en font surtout un pont entre l'Europe et l'Amérique latine. Bien avant la signature de la Convention européenne sur la coproduction (1997), l'Espagne avait déjà des accords avec la plupart des pays d'Amérique du Sud. A ce jour, l'Espagne est un pays joker pour les producteurs du monde entier. Hélas, les 500% de coproductions en plus ne sont pas le fruit d'une campagne d'encouragement aux coproductions internationales. La législation européenne, qui s'appliquera dans les rapports de tous les citoyens européens aux institutions de leur pays, laisse en jachère les normes espagnoles et confronte les producteurs espagnols à cette question: à quoi servent donc les accords de coproductions?

Pour éclaircir ce point et d'autres, il faut bien distinguer:

1. Les coproductions avec des pays qui n'appartiennent pas à l'UE ou qui n'ont pas d'accord de coproduction avec l'Espagne.
Ces coproductions peuvent obtenir la nationalité espagnole et réclamer de plein droit les subventions ci-dessus si elles répondent à certains de ces critères:
- Au moins 75% du personnel technique et artistique sont espagnols ou citoyens de l'UE (les auteurs doivent l'être obligatoirement), que le film soit tourné en Espagne ou sur le territoire de l'UE dans une des langues espagnoles officielles.
Cela signifie qu'on peut par exemple tourner en Espagne un film co-produit par les Etats-Unis (jusqu'à 30%) en dehors de tout traité ou règlement.

2. Les coproductions avec les pays de l'UE ou ceux qui ont signé un accord avec l'Espagne.
Ces coproductions dépendent strictement de la Convention européenne ou de traités bilatéraux, qui stipulent en général les conditions suivantes:
- Dans les coproductions bilatérales, le producteur minoritaire ne peut avoir moins de 20% et le producteur majoritaire ne doit pas avoir plus de 80%. Ne sont approuvées que les coproductions où l'apport créatif est réel (sauf très rare exception).
- Dans les coproductions multilatérales régies par la Convention européenne ou le traité hispano-américain, le producteur minoritaire ne peut avoir moins de 10% et le majoritaire plus de 70%. Dans ce cas, on admet les coproductions financières.

4. Le revers de la médaille

Dans certains cas, coproduire avec l'Espagne peut devenir une course aux obstacles. En effet, même pour les coproductions européennes, on peut constater des situations absurdes dues a des incompatibilités entre les directives européennes et les lois nationales. Le cas échéant, même les fonctionnaires du ministère restent impuissants devant ce conflit de normes. Voici quelques cas et problèmes à soumettre aux législateurs et bureaucrates.

A: Je suis un producteur européen souhaitant coproduire un film avec l'Espagne:
Les traités bilatéraux avec d'autres pays européens ou, à défaut, la Convention européenne sur la coproduction, énoncent que les coproductions bilatérales ne peuvent être que créatives et doivent respecter la proportion 80%-20%. Par ailleurs, le droit européen permet aux citoyens de l'Union de bénéficier du principe de discrimination positive devant toute institution.

Question :
Pourquoi faire d'innombrables demandes officielles et supporter des frais juridiques pour obtenir la double nationalité alors que ces coproductions réalisées avec une équipe 100% européenne sont par essence européenne?

Ces productions devraient être traitées comme le fruit d'une collaboration entre deux entreprises situées dans l'Union. Hélas, la reconnaissance de la nationalité espagnole prend du temps et doit en outre être approuvée par un comité qui impose des conditions très strictes. Voilà bien le grand dilemme européen: les citoyens sont censés être égaux vis-à-vis des institutions mais la réalité est toute autre.

B. Je suis un producteur américain souhaitant coproduire avec l'Espagne, dont la prestation consiste en fait en un service.
Dans ce cas la loi espagnole est presque plus permissive qu’en cas de coproduction européenne. En effet, si le film est réalisé en Espagne avec du personnel espagnol et que l'investissement non-européen ne dépasse pas 30% du budget, le film est espagnol de plein droit, sans obligation de faire aucune laborieuse demande de coproduction.

Question :
Pourquoi ne puis-je pas, en tant que producteur espagnol, coproduire avec un pays européen contribuant à hauteur de 30% au budget, alors que je peux le faire avec un pays non-européen ou un pays qui n'est pas soumis à la Convention européenne sur la coproduction?

Remarque :
La loi fait silence sur la question, pour plusieurs raisons:
1. La nationalité espagnole n'est accordée à une coproduction européenne que si cette dernière a reçu l'approbation du pays coproducteur minoritaire.
2. La nationalité américaine est sans rapport avec la citoyenneté espagnole.
Qu'est devenue l'Europe de l'espace unique et de l'égalité des droits vis-à-vis des institutions?

5. Conseils pour coproduire avec l'Espagne

1. Vérifier l'existence d'un traité de co-production (et l'analyser attentivement)
2. Respecter rigoureusement les articles du traité (on ne peut négocier avec les institutions)
3. Rédiger un contrat de coproduction (si possible ad hoc, et pas copié sur un contrat relatif à une autre coproduction) établissant des termes importants aux yeux du Ministère, comme:
• Le lieu de dépôt du négatif
• La nationalité des principaux techniciens et acteurs
• Les degrés de participation

Très important:
Préparer les papiers requis par le producteur espagnol bien en avance. Même si le Ministère accorde certains changements, il est essentiel de recevoir l'approbation assez tôt pour permettre au producteur espagnol de demander des financements.
Un conseil: dans le contrat de coproduction, on évitera de faire état d'un devis. Il fera l'objet d'une annexe. Le devis est en effet susceptible de varier pendant la phase de pré-production; il vaut mieux modifier l'annexe sans devoir signer un nouveau contrat de co-production.

6. Conclusion

Cela fait plusieurs années qu'on discute des moyens de développer la culture européenne. Hélas, hors le cadre des excellents programmes MEDIA et Eurimages, les producteurs se heurtent encore aux normes nationales qui ne facilitent pas le processus d'intégration. Les conquêtes législatives bruxelloises ne sont pas encore inscrites dans les lois nationales. Il est sans doute temps de travailler à l'harmonisation culturelle de l'Union Européenne, au lieu de continuer à la dilater géographiquement.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Lire aussi

Privacy Policy