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Joern Utkilen • Réalisateur

"Reproduire fidèlement la réalité, en faire une simple copie ne m’intéresse pas"

par 

- Le réalisateur norvégien Joern Utkilen nous fait part de la venue au monde de son premier long-métrage Lake over Fire et nous invite à le suivre dans sa démarche créatrice

Joern Utkilen • Réalisateur

Lake over Fire [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Joern Utkilen
fiche film
]
, premier long-métrage de Joern Utkilen, réalisateur norvégien dont la demarche créatrice est peu ordinaire, vient de faire l’ouverture du Festival Oslo Pix. Il s’agit d’un vrai pseudo-western avec la panoplie qui s’impose, à la fois respectée et détournée : shériff, saloon, armes à feu, chevaux, pardon, mobylettes déglinguées en guise de vaillants coursiers, etc. On baigne dans le faux, le clinquant, la pacotille, à des fins parodiques et satiriques naturellement. Humour décalé à gogo. Le film est sorti en salles norvégiennes ce 8 juin.

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Cineuropa : Vous avez tourné en studio ?
Joern Utkilen :
Non, dans le sud de la Norvège, à Knaben exactement, là où prospérait une société minière il y a une quarantaine d’années. Tournage d’abord envisagé dans le village même, mais le site désertique à proximité nous a séduits et c’est là que nous avons placé les camping-cars bariolés où vivent les personnages du film.

Ce campement évoque pour moi un cirque avec sa piste de sciure.
C’est plutôt le bac à sable d’un jardin d’enfants où s’ébattent des adultes qui se comportent comme des gamins et se croient importants parce qu’ils ont revêtu un uniforme, parfois pour mieux cacher leur ignorance et leur incompétence. Cet univers infantile est drapé de couleurs vives, très contrastées.

Vert électrique, rose agressif...
Si j’ai recours aux contrastes, c’est dans un souci de clarté, de simplification. Les contrastes permettent de mieux distinguer les choses, d’y voir plus clair.

On voit aussi très clairement que ce campement ressemble fort à un dépotoir.
Forcément puisque personne ne veut faire la corvée des sacs-poubelles. Nos héros, détenteurs d’une richesse facilement accessible, ne sont pas des fanas du boulot.

Explicite aussi, et déroutant à mon avis, ce fou-rire insistant partagé par trois personnages.
Vous savez, j’aime bien provoquer un peu. Et puis un rire peut être communicatif, selon les circonstances, l’humeur... le sens de l’humour, et le goût pour l’absurde des spectateurs.

Comment est né le scénario ?
Ce film est surtout le fruit de l’intuition, d’une succession d’associations d’idées. Tout a commencé par des conversations avec les acteurs, sur eux-mêmes, sur leurs pensées. J’en ai retenu des éléments ; des images se sont ensuite imposées, et l’histoire a ainsi pris forme de façon intuitive. Comme d’habitude, je ne me pose pas de questions à ce stade-là. Après coup... il peut m’arriver d’analyser, d’essayer de comprendre.

L’escargot-facteur m’a intriguée.
Lettre, téléphone, pigeon-voyageur... le message finit par arriver quelles que soient les modalités de transport. Je m’écarte délibérément de la réalité. Je prends mes distances. Je suis content si sur le moment l’escargot fait une forte impression sur le spectateur et si par la suite il laisse des traces en lui. La distanciation, on la trouve aussi dans le jeu des acteurs, le non-jeu plutôt. Les visages sont peu expressifs, il y a peu de gestes, de mimiques. Cela renforce la distance entre le public et ce qui se déroule sur l’écran.

Parfois les personnages ne sont que des silhouettes, des ombres chinoises.
C’est au spectateur de compléter les images, de combler les espaces disponibles. Je me fie à mon intuition, mais je suis conscient de ce que je fais, j’essaie d’encourager le spectateur à  renoncer à ses pensées automatiques.

Et à quitter ses rails familiers ?
Pas forcément. Tout dépend de la destination du train et de qui le conduit. L’essentiel est de porter un regard critique sur ce qui nous entoure, les médias, la société en général. Je propose un angle de vision différent car reproduire fidèlement la réalité, en faire une simple copie ne m’intéresse pas. Je tiens à rompre avec le réel pour ébranler les habitudes, les certitudes si fort ancrées en nous, mais je ne suis pas dirigiste. Cette démarche est la même à tous les stades de la création et de la réalisation.

Dans votre film il y a des gentils, des moins gentils...
Et d’autres encore, dénués d’empathie, qui veulent exploiter les empathiques authentiques. Ces gens sans scrupules, pas foncièrement méchants d’ailleurs, finissent le plus souvent par gagner car ils ont la force, la puissance de leur côté. Notre impuissance est grande face à cet impitoyable appétit de gain et de pouvoir. Ce qui reste au bout du compte, le plus important à mes yeux, c’est l’amour.

Un peu perceptible par exemple dans la séquence des arbres.
Peut-être... mais je refuse la sentimentalité, la manipulation par l’émotion.

Vous êtes pessimiste.
Non, je ne crois pas. Les mêmes choses vont se reproduire si on ne parvient pas à aller de l’avant. Il doit y avoir une solution, mais je ne l’ai pas encore trouvée.

On est tous dans le même bateau, comme le dit une des chansons du film, que vous avez écrite, je crois.
Oui. J’ai aussi emprunté quelques airs à Arvid Sletta, un musicien peu ordinaire auquel j’ai consacré un documentaire, Statement Too (2016) : il est hors système, simplement désireux de faire sa musique à lui. C’est le compositeur allemand Schneider TM qui par ailleurs a écrit la musique originale du film.

Lake over Fire...  titre bien mystérieux !
Il trouve son origine dans une oeuvre chinoise le Yi Jing ou Livre des Mutations, traité de sagesse à la dimension poétique, ludique et aussi divinatoire qui m’a inspiré des titres similaires pour deux de mes courts-métrages Earth over Wind (2014) et Wind over Lake (2010). L’expression "lake over fire" suggère le renouveau, une mue salutaire. Une page se tourne pour laisser place à un nouveau chapitre.

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