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BERLINALE 2024 Compétition

Meryam Joobeur • Réalisatrice de Who Do I Belong To

“J’aime l’idée d’émotions très réelles dans un monde qui semble un peu surréel”

par 

- BERLINALE 2024: La réalisatrice parle de son premier film, dans lequel quelque chose de très réel – et de très tragique – coexiste avec le mysticisme

Meryam Joobeur • Réalisatrice de Who Do I Belong To
(© Dario Caruso/Cineuropa)

Aïcha (Salha Nasraoui), qui vit en Tunisie avec son mari et ses fils, peut voir l'avenir dans ses rêves, mais quand ses deux fils doivent partir se battre pour ce en quoi on leur a dit de croire, la famille en souffre. Plusieurs mois plus tard, Mehdi revient – sans son frère, mais avec une nouvelle épouse, qui n'ouvre jamais la bouche. Leur arrivée, ou peut-être son regard mystique à elle, déclenche des événements étranges dans le village. Meryam Joobeur nous parle de ce film, À qui j'appartiens [+lire aussi :
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, qu’elle a présenté en compétition à Berlin.

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Cineuropa : Quelque chose de très réel (et très tragique) coexiste dans ce film avec le mysticisme. C'est que l’inconnu fait déjà partie de cet univers, pratiquement dès le tout début.
Meryam Joobeur : J’ai toujours adoré le réalisme magique. Je pense que c’est parce que ma grand-mère me disait des contes traditionnels tunisiens quand j’étais petite. J’aime l’idée d’émotions très réelles placées dans un monde qui fait un peu surréaliste. Dans le village où nous avons tourné, ça fait partie de leur culture aussi : ils croient vraiment à la magie. J’ai été inspiré par cet endroit et par leurs croyances, et par l’idée que les morts peuvent revenir. Et puis il y a les rêves d’Aïcha. Ces deux dernières années, les rêves sont devenus très importants dans ma propre vie, en tant que manière de me connecter à mon inconscient.

Au début, quelqu’un essaie de prédire l'avenir dans du marc de café, et il n’a pas l’air prometteur. Plus tard, ce sentiment qu'une menace plane s'amplifie, mais elle reste impossible à situer exactement.
S
avez-vous à quel film j’ai le plus pensé en faisant celui-ci ? Under the Skin [+lire aussi :
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interview : Jonathan Glazer
fiche film
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de Jonathan Glazer. Il a fait écho en moi parce que c’est le genre de cinéma qui m’émeut le plus, celui qui fait que vous continuez de vous poser des questions après. Parfois, vos propres ombres intérieures sont les plus effrayantes. J’ai essayé ici de suivre l'idée traditionnelle du parcours spirituel : un événement bouleversant survient et fait ressortir beaucoup de choses auxquelles les personnages vont devoir se confronter une bonne fois pour toutes. Une prise de conscience se produit, mais elle vient précisément de l'acceptation de cette ombre.

L’ombre que vous mentionnez rôde dans leur maison avant même ce retour inattendu. Les parents de Mehdi sont brisés, dévorés par leur solitude. Quand vous nous les présentez, leur situation est déjà très désespérée. Pourquoi avez-vous trouvé intéressant de procéder ainsi ?
Quand on vit une expérience éprouvante comme celle-là, soit on continue de plus belle soit une massive transformation s’ensuit. Ils essaient de comprendre le choix extrême de leur enfant. J’aimerais que ça se rattache à plus d’expériences que juste celle d'avoir deux fils qui rejoignent une organisation terroriste. L'idée, c'est que vous les avez perdus en tant que parent. La gravité émotionnelle de la situation peut être très similaire dans un autre cas de figure, quel qu'il soit.

C’est sombre, mais leur petit frère représente la lumière. Sa perspective est très importante parce que les choses sont encore simples, pour lui. Il sait ce qu'ont fait ses frères, ce qui le préoccupe, c'est de savoir s'il peut encore les aimer. La réponse est oui : on peut ressentir de l’amour et du mépris en même temps. Parfois, on a du mal avec ça, parce que ces deux choses semblent beaucoup trop extrême, mais même Mehdi est à la fois une victime et un oppresseur.

En théorie, les gens de votre famille devraient toujours vous accepter, en toutes circonstances. Aïcha essaie de le faire. Elle dit que tant que ces garçons ont une mère, ils ont aussi un foyer.
Mon interprétation personnelle est que dans le cas de cette femme (et je l’ai vu avec d’autres femmes autour de moi), toute son identité a été happée par la maternité dès qu'elle a eu ces garçons. Le père se soucie surtout d’avoir une famille "respectable". Enfin, leur fils aîné, celui qui revient, a construit son identité autour de l'idée qu’il a été victime de son père. Il dit que sans lui, il ne serait pas parti. Ils sont tous coincés dans leur manière de faire, et puis tout s'écroule.

Je trouvais intéressant de montrer comment nous construisons notre identité. Ces gens ne savent plus qui ils sont. Le traumatisme de Mehdi reprogramme son cerveau, mais il continue de s’accrocher à son statut de victime. C’est terrifiant, quand ça change comme ça (je vis ça moi-même depuis deux ans), mais ça peut aussi être tellement libérateur. C’est pour ça que le titre est À qui j'appartiens : c'est ça, la grande question. Qui suis-je ? Est-ce que je m’appartiens à moi ou appartiens-je à la perception qu’a de moi la société ? Tout ce film est une rumination sur ce sujet.

Cela dit, vous montrez une communauté isolée où ces questions semblent un peu déplacées. Ils ne peuvent pas discuter ouvertement de ces dilemmes.
Je parlais, l’autre jour, à une amie qui essaie depuis des années de parler à son père, et elle n’y est pas encore arrivée. "Je ne comprends pas pourquoi c’est dur à ce point de communiquer", m'a-t-elle dit. On partage sans problème ses opinions sur les réseaux sociaux, mais quand il s’agit de parler à son père du ressentiment qu’on porte en soi depuis des années, c'est même pas la peine !

C’est vraiment dur, de se confronter à ça, mais si on ne peut pas communiquer au sein de nos propres communautés, quel espoir y a-t-il pour la société dans son ensemble ? Ça emporte un "danger de la présupposition", parce que quand on ne sait pas ce que pense une autre personne, c’est ce qu’on fait : on présuppose.

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(Traduit de l'anglais)

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