Résurrection : "quel mal peuvent me faire les hommes ?"
par Fabien Lemercier
- Un premier long métrage aux intentions choc de Katrin Gebbe sur le martyr d’un Jesus Freaks en mission chez un couple de sadiques
"Jésus, montre moi le chemin !" En s’attaquant avec son premier long métrage Résurrection [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film], aux hauteurs de la métaphysique chrétienne de la lutte du Bien et du Mal par la face Nord du chemin de croix d’un jeune croyant allemand, la jeune réalisatrice Katrin Gebbe a déclenché des réactions très contrastées au Certain Regard du 66ème Festival de Cannes. Cet accueil houleux amplifié par le parfum risqué de film choc qui précédait l’ouvrage est néanmoins à relativiser car si le fond prête largement à discussion, la forme se révèle plutôt prometteuse. Mais la foi est de ces sujets pour lesquels aucun faux-pas n’est permis.
Tore (Julius Feldmeier) est un Jesus Freaks, mouvement fondé en 1991 à Hambourg dont la pratique religieuse bouillonnante, à base de prêches enflammés accompagnées de hard rock et de pogos frénétiques, de prières incessantes ("merci pour cette bonne bouffe") et de pression permanente des coreligionnaires, en font un groupe jusqu’au-boutiste ("la plupart des Eglises n’ont pas capté le message de Jésus"). A peine baptisé, Tore (qui est aussi épileptique) est particulièrement exalté. Il veut faire ses preuves et attend un signe du ciel, une mission à accomplir. Ses veux seront très vite exaucés à travers une rencontre fortuite avec le musculeux et tatoué Benno (Sascha Alexander Gersak) qui n’arrive sa redémarrer sa voiture sur un parking. Un cercle d’énergie et une prière sur le capot plus tard et le "miracle" s’accomplit. Du moins, c’est ce dont Tore tente de se convaincre, et quand Benno surgit quelques jours plus tard et s’occupe de lui après une sévère crise d’épilepsie, il suit son sauveur qui propose de l’héberger dans un jardin ouvrier de banlieue où il passe l’été avec sa famille composée de sa compagne Astrid (Annita Kuhl) et de deux enfants qui ne sont pas les siens : l’adolescente Sanny (Swantje Kohlhof) et un petit garçon. Mais pour Tore, ce sauveur s’avèrera un bourreau…
Retraçant une descente aux enfers et la classique mise à l’épreuve du croyant par Dieu dans la religion chrétienne, à travers l’amour de ses ennemis et son cortèges de souffrance et de doutes, Résurrection l’actualise en la situant dans la marge des milieux défavorisés allemands (assez peu visibles au cinéma), vivant dans des maisons déglinguées et des mobile-homes. Dans un enchaînement croissant infernal et pervers de coups, de brimades, d’humiliations, de sévices et de tortures, la réalisatrice façonne une atmosphère toxique dont Tore prendra progressivement conscience avant d’en assumer l’abjection jusqu’au martyr final destiné à donner aux enfants de la maisonnée l’occasion de s’enfuir. Jouant sur des ressorts visuels assez efficaces, notamment dans les séquences de nuit, Katrin Gebbe peine cependant à se débarrasser du sentiment d’artificialité né de quelques croisements trop rapides du scénario, et son personnage principal s’enfonçant dans la noirceur humaine (jusqu’à la prostitution masculine) évolue parfois aux lisières du crédible, très loin de la force par exemple du documentaire Jesus Camp (2006), sur le même thème de la foi absolu et délirante. Des excès que Résurrection pousse à leur paroxysme un peu trop mécaniquement pour réellement pouvoir dominer son sujet du combat mystique, l’un des plus complexes qui soit.
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