14/08/2014 - Le premier long-métrage de Matthias Huser, présenté à Locarno dans la sélection Cineasti del presente, ébahit par l'univers esthétique fascinant et énigmatique qu'il crée

They Chased Me Through Arizona [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Matthias Huser
fiche film] est le seul film suisse en compétition à Locarno dans la section Cineasti del presente. Cette belle opportunité, son auteur, Matthias Huser, a su la saisir au vol avec classe et un brin de provocation. Avec ce film à contre-courant, le jeune réalisateur helvétique a étonné le public : son travail est réduit à l'essentiel mais jamais creux, esthétiquement hyper contrôlé sans être stérile.

L’ère de l'analogique est désormais terminée et Léonard, introverti et silencieux, doit s’effacer pour laisser la place à une nouvelle génération adepte des nouvelles technologies. Il ne lui reste plus qu’une tâche à accomplir : démanteler toutes les cabines téléphoniques encore en service. Le travail n’est pas la seule chose que Leonard a perdu : son mariage est en train de tourner court et sa femme, Marbella, n’est plus qu’un fantôme qui remplit difficilement son existence vide et mélancolique. Ben, une sorte de chauffeur pour gens de la classe ouvrière en liberté conditionnelle, accompagne Léonard dans sa dernière mission. Le seul moment d’évasion et de légèreté du film est lié à la lecture d’un vieux roman appartenant au genre du western. Le dernier voyage des deux personnages, existentiel, ils l'effectuent dans des plaines immenses et des zones industrielles désormais désaffectées. La photographie est incroyablement précise, patinée, et chaque plan est construit avec une méticulosité proche de la maniaquerie. On pourrait s'attendre à une série de tableaux vivants grandioses, mais les images sont déshumanisées tout en restant physiques, presque charnelles. 

Matthias Huser réussit à nous transporter dans son monde en nous faisant presque oublier la réalité qui nous entoure, souvent trop voyante et criarde, pour ne pas dire obscène. Il nous ramenant à la beauté des choses essentielles. Dans l’univers presque surréaliste du réalisateur suisse, le langage du corps en dit bien plus que les mots, qui sont relégués au second plan comme une musique de fond accompagnant les émotions plus qu’elle ne les exprime. Les dialogues, brefs et concis, sont parfaitement dits par les excellents comédiens : Krzysztof Kiersznowski, Halina Skoczynska et Eryk Lubos. Dans un monde où, trop souvent, le bavardage prend le dessus, le film de Matthias Huser permet au spectateur de faire une pause, d’observer plus que de commenter, en s'abandonnant à la beauté et à la force des images.

They Chased Me Through Arizona a été tourné en Pologne, dans un paysage composé d’immenses plaines où règne un certain sentiment de désolation et de défaite. Malgré tout, des éléments propres à la culture helvétique apparaissent comme des éclairs : un certain sens de la pudeur lié au langage, une sorte de crainte d’exprimer ses sentiments. Cette atmosphère de langueur décadente est merveilleusement bien soulignée par une musique inquiétante qui renvoie à l’univers cinématographique du western, désormais “old school”. They Chased Me Through Arizona est un film fascinant imprégné d’humour noir qui touche en profondeur.

They Chased Me Through Arizona a été produit par Ventura Film.

(Traduit de l'italien)