21/05/2023 - CANNES 2023 : Le toujours très inventif et drôle Michel Gondry plonge à la campagne dans le sillage chaotique et créatif d’un réalisateur bipolaire en fuite avec un montage non terminé

"Tu préfères que je te dise la vérité ou que tu partes en vrille ? – Je vais prendre la vrille". À l’image du personnage principal de son nouveau film, Le livre des solutions [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Michel Gondry
fiche film], découvert à la 55e Quinzaine des Cinéastes (dans le cadre du 76e Festival de Cannes), Michel Gondry est un artiste amoureux des chemins de traverse, du bricolage artisanal, de l’ultra-sensibilité, du pouvoir poétique des rêveurs tentant d’échapper à un monde brutal. Tel est justement Marc, ce metteur en scène se réfugiant dans les Cévennes avec sa garde rapprochée (sa monteuse et deux assistants) après ayant pris la poudre d’escampette alors que la production voulait reprendre la main sur son nouveau film Chacun. Tout le monde ("vous nous aviez promis ça et vous nous livrez ça ! C’est gris, c’est laid, on ne reconnaît pas les acteurs et cela nous coûte 5 millions. On arrête le tournage, on va essayer de sauver les meubles et notre investissement"). Mais quand l’artiste est également bipolaire, tout n’est pas de tout repos pour son entourage.

"Je pense qu’une myriade d’idées et d’expériences qui en apparence partent dans tous les sens peuvent en fait faire partie d’un seul et même plan et converger pour emmener le film à un niveau supérieur". Dit ainsi, tout sembler couler de source mais en pratique, pour les proches de Marc (un Pierre Niney parfaitement dans son élément), sa vieille tante Denise (Françoise Lebrun) qui héberge tout le monde dans sa maison au cœur de la forêt, sa fidèle monteuse Charlotte (Blanche Gardin), son assistante réalisatrice Sylvia (Frankie Wallach) et la petite main Carlos (Mourad Boudaoud), il s’agit surtout d’endiguer (une mission quasi impossible) le flot d’initiatives plus ou moins loufoques du cinéaste (qui a décidé de surcroît d’arrêter de prendre ses médicaments), de gérer ses angoisses et d’essayer de finir le film. Tout cela ne va pas de soi, malgré l’affection que tous portent à Marc qui trouve tous les prétextes pour fuir la salle de montage et réveille les uns et les autres au milieu des nuits à chaque inspiration farfelue : "le film va commencer par fonctionner comme un parfait palindrome. On commence par la fin, on termine par la fin et ça se rejoint au début".

Avec Le Livre des solutions, Michel Gondry façonne un alter-ego à la fois tendrement amusant et dans une pleine ébullition permanente touchante ("en m’attaquant aux principes fondamentaux de la créativité, je m’enfonçais dans les ténèbres de l’incompréhension. C’était le prix à payer. Seule mon inspiration me guiderait vers la lumière") qui s’exprime par la voix intérieure du personnage. Mais Le livre des solutions se révèle également un décryptage pertinent (sans jamais perdre de vue l’humour) des étapes successives du processus créatif ("démarrer son projet", "apprendre en faisant", "ne pas écouter les autres", "écouter les autres") et des archétypes du microcosme de l’industrie cinématographique. Le capitaine du navire du film dans le film progresse en état d’ivresse mentale, mais Michel Gondry en tire les bons ingrédients pour concocter une recette très divertissante, une comédie très personnelle perdant néanmoins un peu de son influx dans sa dernière ligne droite, sans toutefois faire abstraction de la fragilités des vrais artistes capables de "faire naître du silence une musique" tout en se révélant parfois leurs pires ennemis.

Produit par Partizan Films, Le livre des solutions est vendu à l’international par Kinology.