21/03/2024 - Dans ce documentaire, couronné à SXSW, Pinny Grylls et Sam Crane retracent leur mise en scène du classique de Shakespeare à l'intérieur du jeu vidéo Grand Theft Auto Online

L'expérimentation transmédia au cinéma est de plus en plus populaire, mais elle ne va pas sans une pléthore de difficultés et d'obstacles. La combination du cinéma et du jeu vidéo a causé une vraie surexcitation ces dernières années, dans les sphères commerciale et indépendante – on pense par exemple au court-métrage documentaire encensé Hardly Working de Total Refusal, entièrement tourné dans un monde de jeu vidéo. Et voilà que Grand Theft Hamlet, de Pinny Grylls et Sam Crane, vient de remporter la compétition longs-métrages documentaires de SXSW, se faisant du même coup l'avocat de la prise de risque joyeuse en matière de transmédia. Crane est surtout connu pour son travail sur les planches dans le West End, mais il se décrit aussi comme un artiste vidéo qui apprécie les espaces créés par les jeux vidéo. Son premier court-métrage, We Are Such Stuff As Dreams Are Made On (2021), chronique la même expérience théâtrale que le long-métrage dont on parle ici, mais en 10 minutes.

Pendant le confinement, Crane et son ami l'acteur Mark Oosterveen ont passé beaucoup de temps à jouer à Grand Theft Auto (GTA) Online, parce que ce jeu notoirement violent constituait une distraction facile n'obligeant pas trop à réfléchir. Un jour, alors qu'ils essayaient d'échapper à la police (dans le jeu), ils se retrouvent au Vinewood Bowl (l'équivalent dans GTA du Hollywood Bowl). Là, le duo a l'idée de mettre en scène Hamlet à l'intérieur du jeu. Les deux amis finiront par exécuter la chose peu à peu des auditions jusqu'à l'organisation de la pièce dans des lieux inventifs choisis dans le monde virtuel.

Après qu'ils aient recruté la compagne de Crane, Grylls, elle se met à les filmer ainsi que leur nouveau projet théâtral. Crane et Oosterveen puisent pendant les auditions publiques dans une gamme éclectique de personnages, notamment un cuisinier historique, un inconditionnel de Shakespeare, un père au foyer et la célèbre comédienne voix pour jeux vidéos Jen Cohn. La troupe devra apprendre à combiner le jeu vocal avec les actions des personnages dans le jeu (dites “emotes”) et avec les consignes théâtrales pour exécuter la totalité de la tragédie shakespearienne.

Le film devient de plus en plus existentiel à mesure que les acteurs quittent la scène à cause d'engagements professionnels dans la vie réelle et des contraintes de temps. L'intérêt du projet étant que tout le film est tourné dans le jeu vidéo, les réalisateurs sont obligés de monologuer sur des sujets difficiles dans l'univers de GTA, ce qui finit par faire un peu forcé. La situation tragique des personnages ne fait pas toujours mouche, et le montage de Grylls, qui s'appuie trop lourdement sur les fondus au noir rapides, est souvent maladroit, quoique la manière dont elle a réussi la prouesse de filmer à l'intérieur du jeu reste formidable.

L'exposition traîne trop en longueur alors que la vraie intrigue et les moments amusants ne surviennent que quand les choses sont plus spontanées, comme quand un homme avec un personnage d'alien récite pour son audition un extrait du Coran. La musique composée par Jamie Perera fait par ailleurs cliché, par moments, comme l'électro bondissante qui accompagne les premières révélations de Crane and Oosterveen et les envolées mélodiques au piano à la fin. Une autre difficulté formelle est que le spectateur est susceptible de s'accrocher aux sous-titres sans voir le reste à cause des changements constants d'avatar des personnages qui apparaissent à l'écran et des conversations ultra rapides.

Grand Theft Hamlet part d'une idée fascinante, exécutée de manière très inégale. Compte tenu du fait que les acteurs/gamers opèrent dans un espace virtuel avec d'autres joueurs du monde entier, le film réunit plusieurs coups de théâtre et une saine dose d'hilarité. Cependant, la prémisse reste plus intéressante que l'exécution qui en est faite.

Grand Theft Hamlet est une production britannique de Project 1961 et Grasp The Nettle Films, en association avec Park Pictures. Les ventes internationales du film sont gérées par Altitude Film Entertainment Sales.

(Traduit de l'anglais)