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Mia Hansen-Løve • Réalisatrice

"La vraie star du film, c'est la musique"

par 

- La cinéaste française revient sur l'aventure d'Eden, un film romanesque, ambitieux et réussi au coeur de la genèse de la French Touch.

Mia  Hansen-Løve • Réalisatrice

Rencontre avec la talentueuse Mia Hansen-Løve à quelques jours de la sortie française (via Ad Vitam) d'Eden [+lire aussi :
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, son 4ème long après Tout est pardonné [+lire aussi :
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(Quinzaine des réalisateurs 2007), Le père de mes enfants [+lire aussi :
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(prix spécial du jury Un Certain Regard à Cannes en 2009) et Un amour de jeunesse [+lire aussi :
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(mention spéciale à Locarno en 2011).

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Cineuropa : Quelle était votre intention de départ pour Eden ?

Mia Hansen-Løve: L'idée d'un film retraçant le parcours d'un personnage de DJ pendant 20 ans, inspiré de la vie de mon frère, était d'une certaine manière dans la continuité de mes films précédents : un portait. D'autre part, je voulais faire un film qui s'intéresse à une époque donnée, à un groupe d'artistes qui incarneraient un peu l'essence de cette époque. Dans les deux cas, il y a le sentiment que ce personnage et cette époque n'avaient pas été représentés. C'était une chance de pouvoir m'aventurer sur un territoire qui me paraissait assez vierge, ce que j'avais ressenti un peu en faisant Le père de mes enfants en dépeignant le milieu du cinéma d'une manière réaliste et dans un contexte qui n'avait pas forcément été représenté, car ce n'était pas le cinéma de studio, avec des vedettes, etc. Pour Eden, j'ai eu ce sentiment au carré avec la musique, car c'était un thème finalement encore plus proche de moi et qui était nourri par les expériences communes avec mon frère.

Les récits de vos films se déroulent très souvent sur de nombreuses années. Pourquoi cette attirance ?

C'est difficile de l'expliquer rationnellement. Au départ, c'est quelque chose qui se fait hors de mon contrôle, qui s'impose à moi. Mon inspiration, c'est vrai, m'a toujours portée jusqu'ici vers des histoires sur plusieurs années, qui parlent du passage du temps. Cela me donne la possibilité de faire interagir le présent et le passé, d'enrichir le présent dans la deuxième partie des films. Eden aurait très bien pu s'arrêter en 2001 sur l'avènement des Daft Punk, mais cela ne m'intéresserait pas du tout : pour moi, l'émotion qui porte mes films est liée à la manière dont le passé nous amène au présent et comment le présent est hanté par ce passé, comme dans toutes les vies. C'est à partir de ce moment là que j'ai l'impression que mes films parlent de la vie.

Le scénario a-t-il beaucoup évolué au fil du long processus de financement du film?

J'au jeté deux grands cartons des différentes versions et j'en ai gardé un. Mais je n'ai pas l'impression que le film ait changé de nature, sur ce qu'il raconte, sur son esprit et même sur son ambition, même s'il a un tout petit peu moins d'ampleur que la version initiale envisagée de deux longs métrages, chacun de 1h50, que j'ai même essayé à un moment de vendre à la télé en trois parties d'une heure. Le scénario a énormément évolué du point de vue du nombre de versions, du nombre de pages coupées, mais pas du tout du point de vue de sa substance. Il a été condensé, raccourci, des personnages ont disparu, un élément important de la construction de la seconde partie a sauté complètement, mais il y a toujours eu ces deux parties : une première qui raconte une ascension et qui fait vivre tout un groupe, et une seconde qui évoque une descente et qui se resserre sur le personnage de Paul un peu comme un étau.

Vous abordez de nouveau le thème de la désillusion qu'on peut percevoir comme une sorte de cap de maturation dans l'existence.

On évoque beaucoup la désillusion, le renoncement, en parlant de mes films, surtout pour Eden. Mais je trouve cela ambigu car j'ai toujours l'impression que mes films s'échappent à la fin, qu'il y a toujours une porte qui s'ouvre. Je ne pourrais pas écrire un film qui soit uniquement dans la descente, dans lequel il n'y aurait pas de grâce, même le mot peut paraître un peu pompeux. Il y a toujours une forme de persévérance, de résilience, quelque chose qui perdure à une forme de deuil. Eden conduit in fine à la liberté, à une solitude qui est celle de quelqu'un qui est lui-même. Cela s'apparente plus à un récit initiatique qu'à un récit de désillusion, même si la désillusion est peut-être une des étapes pour arriver à soi.

Quid du choix d'un acteur principal quasi inconnu ?

C'était un élément cohérent dans le projet artistique du film qui était de chercher une forme de vérité un peu nue, sans déguisements, sans apparat, pour raconter un DJ qui, même s'il a connu son heure de gloire, est quand même quelqu'un qui est toujours resté à la marge. Pour incarner tout l'underground de la French Touch, j'aurais trouvé cela un peu déplacé, pour ne pas dire ridicule, de prendre un acteur à la mode, une tête d'affiche. Cela n'avait pas de sens, comme quand j'ai fait Le père de mes enfants sur un producteur de cinéma d'auteur qui incarnait une forme d'indépendance et là-aussi de marge, je ne me voyais pas prendre pour ce rôle quelqu'un de très visible qui aurait toujours été dans la lumière. Tous mes films et peut-être Eden plus que jamais, partent aussi du désir de mettre dans la lumière des gens plutôt dans l'ombre. Le choix d'un acteur n'est pas anodin : il est chargé de sens, il convoque des images, un imaginaire et ce n'est pas le même si l'on prend un acteur très identifié ou si l'on prend un parfait inconnu qui est une sorte de page blanche pour l'imaginaire, ce qui m'intéressait beaucoup et me semblait même nécessaire. Par ailleurs, comme le personnage est adolescent au début et très jeune pendant une bonne partie du film, je n'ai pas eu besoin de me battre pour cette idée : il n'y avait pas d'acteur incontournable et populaire de 20 ans qui s'imposait. Cela m'a préservé de ce débat. Et ceux qui s'intéressaient au film et qui le finançaient voyaient bien que la vraie star du film, c'est la musique, le sujet. 

Eden est le premier film que vous avez tourné en numérique. Cela a-t-il modifié votre façon de mettre en scène ?

Cela l'a changée, oui. Définitivement, je ne sais pas, car c'est peut-être une pratique adaptée pour moi à ce film en particulier. Même si j'ai abordé le numérique à contrecoeur, après m'être battue pendant des mois pour faire le film en pellicule jusqu'à ce que ce soit ça ou rien, j'ai essayé de prendre les choses du bon côté. Maintenant, avec le recul, je me rends compte que je ne vois pas comment j'aurais pu faire ce film en pellicule, étant donné la vitesse à laquelle il fallait que j'aille. Je précise qu'il y a quand même une anarque concernant la légèreté du numérique par rapport à la pellicule. Les caméras numériques sont équipées de toutes sortes de batteries et d'écrans qui ont rendu Eden beaucoup moins léger techniquement à faire que mes deux premiers films par exemple, et j'ai bien vu que le numérique pouvait aller aussi lentement que la pellicule. Mais j'ai travaillé avec un chef-opérateur, Denis Lenoir, qui savait manier le numérique de telle sorte que ce soit d'un rapidité incroyable. Et cette vitesse était indispensable pour le film, notamment pour les scènes de boîtes de nuit parce qu'il fallait tourner des choses très compliquées en un temps record, sans renoncer pour autant à une certaine sophistication. Notre projet n'était pas de filmer les scènes comme si c'était du documentaire à l'arrache. C'est vraiment grâce à l'aisance avec laquelle Denis manie le numérique que j'ai pu allier le côté rock and roll, la vitesse et la souplesse dans la mise en scène avec un grand souci d'élégance formelle.

Quelles étaient précisément vos intentions dans ce domaine ?

Il s'agissait à la fois d'être très en mouvement, d'essayer un tas de choses différentes et de ne se fermer à rien. Donc, concrètement, dans le film, il y a de tout : des scènes filmées à l'épaule, d'autres en travelling, d'autres en plan fixe. Il n'y a pas un procédé formel qui s'appliquerait mécaniquement à toutes les scènes et qui servirait à donner de l'homogénéité au film. Et au-delà de cela, on cherchait, à travers une forme de fluidité dans le mouvement, à donner au film une certaine tenue, qu'il ne soit jamais tape-à-l'oeil, racoleur, contrairement à ce que l'on peut voir souvent dans les films qui jouent un peu avec les images des clubs. Nous n'étions pas du tout dans des effets visuels très visibles: il y a beaucoup de sobriété dans mon style et dans celui de Denis. Mais en même temps, il n'y a pas une scène où la lumière n'est pas pensée et choisie, comme les couleurs, les lumières spécifiques, etc. Et il y a aussi le parti-pris de ne pas éclairer les clubs au-delà des lumières des clubs elles-mêmes qu'on choisissait en fonction de l'époque et de l'atmosphère spécifique de chaque club. Ne pas rajouter de lumière supplémentaire nous permettait de filmer à 360° sans être jamais gêné pas les lumières, puisqu'il n'y en avait pas. Ce parti-pris était bien sûr du réalisme, mais aussi parce que je trouve cela plus beau et cela ne me dérangeait pas que parfois les acteurs parlent et que l'on ne voit pas tout leur visage. Ce choix était à la limite du dangereux et le numérique nous a permis de pousser très loin en termes d'obscurité.

Quelles leçons avez-vous tirées de la bataille pour réussir à faire produire Eden ?

Cela a été très difficile, mais j'ai appris énormément. Cela a modifié profondément mon rapport au cinéma, en tout cas à la production. L'une des choses que j'ai apprises, c'est que si vous faites un film avec trois producteurs différents qui sont tous du même monde, avec des nuances mais dans le même rapport au cinéma d'auteur, ce sont trois manières radicalement différentes de produire. Pour Eden, il se trouve qu'il n'y avait qu'une bonne manière, celle de Charles Gillibert (CG Cinéma) car c'est le seul qui soit arrivé à faire le film. La façon dont il l'a abordé était la seule manière de le rendre faisable, la seule manière efficace et artistiquement pertinente. Cela m'a appris qu'il était indispensable de savoir quitter ses producteurs, de ne pas être dépendant d'eux de manière vitale, même quand on les aime énormément, ce qui est mon cas avec Les Films Pelléas. Et aussi qu'il n'y a pas de vérité absolue, économique, sur un film d'auteur. J'ai tellement entendu que Eden était impossible à monter dans les conditions actuelles et dans l'état de son budget. Et un mois et demi plus tard, je tournais le film que je voulais comme je le voulais, même si c'était tendu car j'avais peu de temps et de la pression. Le film est exactement ce qu'il devait être, simplement cela m'a pris plus de temps que les films précédents, mais ce temps m'a permis de mûrir le projet et accessoirement d'écrire un autre film.

Où en est ce prochain projet intitulé L'avenir ?

Si tout se passe bien, je tournerai en juillet. Le film sera de nouveau produit par CG Cinéma et sera le portrait d'une professeur de philosophie interprétée par Isabelle Huppert.

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