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Arnaud & Jean-Marie Larrieu • Réalisateurs

"Partir ailleurs"

par 

- Rencontre avec un duo fraternel de cinéastes plongés dans l’exploration subtile de la complexité humaine

De retour du festival du film français de Yokohama et en pleine rétrospective au Forum des Images à Paris, Arnaud et Jean-Marie Larrieu ont fait un crochet non loin des Champs-Elysées pour évoquer avec Cineuropa l’aventure de leur dernier opus, Peindre ou faire l’amour. Une discussion à bâtons rompus où les deux frères dévoilent une profonde complémentarité qui trouve un terrain à sa mesure dans leur quête subtile de la retranscription de la complexité humaine.


Cineuropa: Comment est né le scénario de Peindre ou faire l’amour?
Arnaud Larrieu: De l’observation de la vie réelle, de gens qui arrivaient en fin de course professionnelle tout en étant encore très en forme. Et que reste-t-il quand la vie sociale s’arrête?
Jean-Marie Larrieu: Nous avons assisté à ce type de rencontre amoureuse à la campagne. Nous appelons cela le côté japonais du film. Que portent les lieux, les paysages? Avec l’idée qu’au terme de l’histoire, il y ait un "partir ailleurs" évoqué par Les Marquises de Jacques Brel, mais aussi à travers Gauguin. Un "partir ailleurs" en rapport avec l’art, la peinture et avec le désir, une érotique différente, libérée. Un ailleurs qui peut devenir aussi celui de la mort, la fin de quelque chose.
Arnaud Larrieu: L’aveugle (Sergi Lopez) est une sorte de miroir. Les personnages ne sont vus par personne et ils se retrouvent en face de quelqu’un qui ne les voit pas, un moment de retour sur soi très impressionnant où l’on se sent vraiment nu.
Jean-Marie Larrieu: L’aveugle redonne à ce petit couple installé une virginité. Ils ont 55 ans, ils n’ont plus d’image, mais l’apparence physique n’existe plus face à un aveugle. Ils ont accès tout à coup à toutes les libertés, c’est un peu l’adolescence qui revient.

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Pour des questions de production, vous avez tourné ailleurs que dans les Pyrénées
Arnaud Larrieu: Les Pyrénées sont des lieux assez peu filmés. Cela nous aurait intrigué d’y amener Auteuil et Azéma en bottes en caoutchouc.
Jean-Marie Larrieu: Les Alpes sont un territoire de cinéma plus parcouru, c’est ce qui nous gênait le plus. Et puis, nous nous sommes dit que nous allions découvrir à partir de l’endroit le plus singulier que nous avons trouvé: le champ de noyer, le Vercors en face, une maison très particulière avec le séchoir à noix comme une sorte d’extérieur-intérieur. Car il y a les paysages, quatre personnages, plus un cinquième: la maison.

Quel a été l’impact de diriger des stars comme Auteuil et Azema?
Arnaud Larrieu: Nous voulions des acteurs qui aient une identité populaire. Mais ils étaient très humbles.
Jean-Marie Larrieu: Pour la direction d’acteurs, cela a été beaucoup plus facile, mais il faut être très attentif car tout va très vite. Ils donnent une somme d’information à la seconde dans un excès de quantité et de qualité.

Quels sont les avantages de réaliser à deux (Arnaud au cadre et Jean-Marie pour les acteurs)?
Arnaud Larrieu: Beaucoup de films sont réalisés par les chefs-op’. Les réalisateurs dirigent les acteurs quand ces derniers ne se dirigent pas eux-mêmes. Mais quelque chose peut se perdre dans la mise en scène. Pour nous, le cadre, ce n’est pas une jolie image, c’est un point de vue, donc une distance.
Jean-Marie Larrieu: Quand est seul, on se trouve sans arrêt entre parler aux acteurs de très près puis s’éloigner derrière avec l’œilleton. Pour nous, c’est simultané et c’est bien que celui qui pense l’image la cadre. Mais nous avons un chef-op’ pour la lumière
Arnaud Larrieu: Nous partons quand même des acteurs et nous commençons toujours par une répétition pour savoir où l’on va se mettre. Il n’y a pas de découpage pré-établi.

A quel point jouez-vous avec les symboles du film (passage dans l’obscurité, le feu...).?
Jean-Marie Larrieu: Nous essayons de traiter en termes de sensation quelque chose qui se vit réellement. Ensuite, il y a des forces symboliques qui entrent en scène.
Arnaud Larrieu: A l’écriture, nous aimions bien l’idée des lapsus des personnages. Par exemple, ce sont William (Auteuil) et Madeleine (Azema) qui mettent le feu comme s’ils avaient envie de revivre des choses un peu primitives.
Jean-Marie Larrieu: Le film passe toujours par leur point de vue et c’est pour cette raison qu’ils doutent: est-ce notre désir, pourquoi est-on coupable? On ne sait jamais ce qui s’est passé. Comme dans la vie, quand des événements forts surviennent, c’est un abîme pour les interpréter. Par ailleurs, nous aimons la mythologie: les dieux et les légendes sont ancrés dans le réel, c’est pourquoi la réalité est différente et riche, qu’elle n’est pas l’actualité. Nous essayons de raconter des histoires avec des multiples couches. C’est un film qui déverrouille ce qui se passe dans la nuit. Le récit, la manière dont fonctionne l’histoire s’appuie sur les signes et les présages. Il y a des gens qui s’y refusent car un signe est toujours un peu ambigu. J’aime les histoires où l’on n’est jamais sûr de rien car c’est cela qui fait le charme et la profondeur de la vie.

Peindre... a-t-il été influencé par certains cinéastes ?
Arnaud Larrieu: Renoir, nous y avons souvent pensé pour les acteurs.
Jean-Marie Larrieu: Il y a eu aussi un peu Buñuel, à l’écriture avec la vie intérieure et mouvementée des bourgeois. Mais l’acteur, le personnage est prioritaire par rapport au récit. Quand on revoit La chienne de Renoir, on remarque l’inventivité du cadrage, on sent qu’il a fait progresser la technique car elle n’allait pas aussi vite que l’acteur. Nous, sur le cadrage, il y a quelque chose de presque hitchcockien: le cadre dit quelque chose, il permet de transférer des émotions et nous nous le faisons beaucoup avec les paysages, les lieux.
Arnaud Larrieu: Il existe de nombreuses méthodes: mettre des tonnes d’effets, une lumière bleue, le grand angle... Nous sommes plutôt très simples, nous restons à hauteur des personnages. Nous n’aimons pas que l’esthétique masque ce qui se passe. Et le travelling circulaire autour de la table: jamais!
Jean-Marie Larrieu: C’est joli mais nous n’avons jamais compris qui a un point de vue circulaire. Souvent les réalisateurs ne savent pas quoi faire, ils ont peur qu’on s’ennuie.

Comment votre approche artisanale s’harmonise t-elle avec les contraintes financières de la production?
Jean-Marie Larrieu: Faire du cinéma, c’est le faire avec de l’argent. Les budgets moyens de cinéma d’auteur qui essayent de jouer le jeu populaire, d’être accessibles, sont les plus difficiles à monter.
Arnaud Larrieu: Nous avons commencé par gérer nous-mêmes nos budgets et nous faisons du mieux possible avec ce que nous avons. Certains font tout exploser, réclament quatre jours pour telle séquence, mais pas nous.
Jean-Marie Larrieu: Parfois, nous nous disons que nous respectons trop, même s’il ne faut pas céder sur tout. Mais cela développe un art de rebondir avec les contraintes. Souvent, dans le cinéma, c’est parce qu’on est limité qu’on trouve le plan qui répond.

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