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FILMS Espagne

Julieta : la chair meurtrie

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- Le nouveau film d’Almodovar est une ode stylisée à la dégradation dont les quelques étincelles de talent sont étouffées par une complaisance excessive dans le malheur et le fatalisme

Julieta : la chair meurtrie
Emma Suárez dans Julieta

Un suicide, une femme atteinte de sclérose en plaques, une autre de démence sénile, un piéton renversé et deux étranglements : voilà quelques exemples des situations affreuses qui s’enchaînent dans Julieta [+lire aussi :
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, le vingtième long-métrage de Pedro Almodovar. Et encore, les maux ci-dessus ne sont que physiques : si on leur ajoutait les problèmes psychologiques dont souffrent les personnages de ce drame (faussement contenu), la liste n’en finirait pas (soupçons, incommunication, désespoir, nihilisme, abattement, etc…). Après la vaste blague que représentait Les Amants passagers [+lire aussi :
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, le grand cinéaste revient, dépourvu de tout humour ou de joie, pour vomir un film d’une facture impeccable et d’un style inégalable et qui est aussi le plus intense, douloureux et sadique qu’Almodovar ait réalisé à ce jour.

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Le public a déjà eu l’occasion d’assister, tristement et non sans une certaine incrédulité, à certains exercices de profondeur de la part du réalisateur, mais il laissait toujours une place à des interludes amusants  - on se souvient par exemple des scènes de Chus Lampreave, récemment décédée, dans La Fleur de mon secret, ou encore du titre incarné par Roberto Alamo dans La piel que habito [+lire aussi :
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, où apparaissait aussi un livre de la Canadienne Prix Nobel de littérature Alice Munro, dont Pedro a adapté pour le nouveau film d’Almodovar trois récits, sur lesquels plane à chaque instant l’ombre de la tragédie.

Pourquoi Almodovar a-t-il choisi de faire autant souffrir son héroïne ? Pourquoi tant de rage, et de culpabilité malsaine et sadomasochiste ? Et pourquoi les deux personnages les déterminants dans son chemin de croix sont-ils aussi bêtes ? Il est vrai que l’auteur de Talons aiguilles a toujours construit des univers où tout est possible, mais en l’espèce, le projet semble lui avoir échappé, nous laissant face à une tragédie profondément destructrice dont l’énergie malsaine, jamais démentie, noue la gorge du spectateur du début à la fin, malgré l’élégante dignité avec laquelle Emma Suarez tente de soulager son malaise, prouvant ici non seulement qu’elle méritait son Goya de la meilleure actrice, mais qu’elle mériterait un Oscar – car incarner un personnage aussi souffrant auquel on ne permet même pas de crier son angoisse a dû être un martyre.

C’était probablement l’intention d’Almodovar, que de nous faire ressentir tout cela – que la vie est une horreur, que le destin est capricieux et que ceux qui nous feront le plus souffrir sont les êtres qu’on aime le plus. Ce propos est soutenu par le montage savant de José Salcedo, la musique d’Alberto Iglesias, la mise en scène raffinée et la photographie lumineuse de Jean-Claude Larrieu. Il faut aussi souligner le changement d’actrice  qui survient pendant le film, Adriana Ugarte cédant le rôle à Emma Suarez dans une scène qui explique l’affiche du film – où elles apparaissent toutes deux. On ne peut que regretter que tout ce talent ait été gâché par l’intrigue, si retorse qu’elle en perd toute crédibilité sans que ne la sauvent les dialogues, laborieux, ni surtout la conclusion du film, qui repose sur un deus ex machina qu’on ne peut pas pardonner à un cinéaste lauréat de deux Oscars, dont un Oscar du meilleur scénario.

Dans Julieta (produit comme d'habitude par sa société El Deseo), Almodovar a voulu reprendre le principe actif de Tout sur ma mère et Parle avec elle [+lire aussi :
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, mais en le rendant plus profond que Bergman, plus austère que Kieslowski et plus terrifiant que Douglas Sirk, pour nous dire à quel point la douleur, l’incommunication et l’absurdité sont destructrices. Hélas, il s’est laissé détourner par le sentimentalisme et la facilité de revirements de situation dignes d’un feuilleton radiophonique.

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(Traduit de l'espagnol)

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