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Cannes 2024

Country Focus: France

La liberté de création artistique est en jeu, dit le CNC à Cannes

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- CANNES 2024 : À partir d'un exemple spécifique, la discussion a permis d'aborder les difficultés d'une création artistique qui pourra éviter d'être entravée par les sensibilités modernes

La liberté de création artistique est en jeu, dit le CNC à Cannes
de gauche à droite: Sylvain Bourmeau, Tania de Montaigne et Bernard Stirn pendant le débat (© Éric Bonté/CNC)

À Cannes, le CNC a organisé une table ronde intitulée “La liberté de création à l'épreuve des sensibilités modernes”, à laquelle ont pris part Bernard Stirn, président de section honoraire au Conseil d'État et secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences morales et politiques, et l'écrivaine, journaliste et artiste Tania de Montaigne. La conversation était modérée par le journaliste Sylvain Bourmeau, de France Culture.

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Avant que Montaigne ne commence à relater les différentes difficultés auxquelles elle a été confrontée, et qu’elle rencontre toujours, concernant son travail et la perception qu’en a la société, il a été demandé à Stirn de donner un aperçu de la situation normative de la France en terme de création artistique. La question était de savoir s'il y a des limitations fixées par la loi quant à ce que les artistes sont autorisés à exprimer, et la manière dont ils le font. Stirn a répondu que la liberté d’expression artistique fait partie des droits fondamentaux inscrits dans le droit français au moment de la rédaction de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Depuis, tous les amendements et ajouts opérés n'ont consisté qu'à réaffirmer cette liberté et n'ont été entrepris que pour prendre en compte les nouveaux formats artistiques qui sont apparus au fil des décennies. Ainsi, en 1982, la Constitution française a été amendée de manière à garantir la liberté de toute communication et expression audiovisuelle. Étonnamment, en 2016, un ajout a été fait déclarant que toutes les créations artistiques sont libres. Pour Stirn, cet amendement récent est un symptôme des discussions intenses autour du mouvement "woke" dans notre société, qui pointe vers une réinterprétation radicale de ce qui est politiquement correct.

Apparemment, Tom Hanks a dit que dans le climat d’aujourd’hui, il n’aurait pas accepté son rôle iconique dans Philadelphia. Après tout, il n’est pas gay. C’est cette anecdote que Bourmeau a choisi pour ouvrir la discussion. Tania de Montaigne n'en a pas été choquée : elle a expliqué ce qui s’est passé quand son roman Noire a été adapté en dessin animé puis intégré à une installation pour une musée. Il a aussi été transformé en une expérience de réalité virtuelle qui participe d'ailleurs à la compétition VR de Cannes cette année.

Après le succès du roman, le dessin animé a aussi été très bien reçu. Il a notamment été invité par un festival canadien anglophone, a expliqué Montaigne. Les illustrations ayant été réalisées par une dessinatrice blanche, le curateur du festival en question s'en est trouvé perturbé. Pour lui, il n’était pas possible de conserver le titre du livre tel quel, car les gens de couleur auraient pu se sentir mal à l’aise en apprenant qu'une personne blanche était rattachée au projet. Montaigne, ele-même de couleur, aurait dû être consciente de ce problème elle-même, a dit le curateur. On lui a demandé de changer le titre, mais elle n’a pas voulu.

Pour l’écrivaine, l’incident n’est qu’un exemple des maintes situations similaires qu'elle a connues. Pour l’exposition qu'elle a montée à partir de son roman, on lui a demandé de changer le début du livre, qu’elle avait exposé sur un mur. Le curateur du musée a suggéré une phrase complètement nouvelle, conçue pour ne pas blesser les gens de couleur.

L’auteure a expliqué que ces dynamiques sont un vrai problème. Les gens qui se donnent pour mission de se faire les "gardiens de la moralité et de l’ordre" et de faire "la police du langage" ne font que reproduire des notions et comportements racistes au lieu de lutter contre comme ils le pensent. Considérer qu'on est en mesure de décider pour tout un groupe de personnes (en l'espèce les gens de couleur) ce qui pourrait le blesser ou pas et parler pour eux est paternaliste. C’est une manière de ne pas reconnaître les gens comme des individus capables de décider eux-mêmes ce qu’ils aiment, ce qui les met en colère et ce pour quoi ils veulent se battre.

Pour Montaigne, et Stirn est du même avis, ce qu’on est en train de vivre dans notre société moderne n'est pas nouveau. Les protestations contre les travaux artistiques ont toujours existé, sauf que les corps et groupes qui en étaient jadis à l'origine, comme l’église, sont moins bien définis maintenant. On discerne une démocratisation de l'indignation sociale. Pour l'écrivaine, il est clair que ces protestations publiques ne sont que superficielles et ne servent pas la cause. Ces mouvements ne semblent du reste pas intéressés par l'idée d'aller au cœur des problèmes structurels qui sous-tendent le racisme.

Stirn trouve les discussions sur la question violentes : elles sont intrinsèquement porteuses d'une violence physique, intellectuelle et morale. Tout le monde regarde vers l’intérieur et se concentre sur sa propre identité, ce qui empêche d'avoir un dialogue constructif. Tania de Montaigne a ajouté que la société semble avoir le droit de décider qui peut parler pour qui. Par exemple, les personnes blanches ne seraient pas autorisées à parler de sujets qui concernent les gens de couleur. Pour suivre la logique de Tom Hanks, les hétérosexuels ne seraient pas autorisés à parler de sujets affectant les individus homosexuels. Or c'est exactement la définition de la discrimination. La liberté de création artistique implique qu’un ou une artiste peut parler de ce qui l’intéresse. Montaigne a conclu en disant que les gens ne devraient pas oublier une chose : nous avons aussi tous la liberté de choisir quelles œuvres d’art on veut voir et lesquelles on préfère éviter ou ignorer.

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(Traduit de l'anglais)

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