Rencontres L’ARP 2025
Country Focus: France
Le cinéma français face aux défis d’une pente glissante
par Fabien Lemercier
- Mauvais moment à passer ou périls plus mortels ? Zoom sur les conséquences pour la production cinématographique de l’instabilité générée par le nouveau paysage des usages et des modèles économiques

Tenter d’y voir clair dans un environnement de grande confusion et prendre conscience des enjeux existentiels majeurs : les 35es Rencontres Cinématographiques (organisées au Touquet-Paris-Plage par L’ARP - Société civile des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs) ont dessiné un tableau relativement inquiétant pour le cinéma français, même si ce dernier dispose d’énormément d’atouts pour traverser les difficultés sans y laisser trop de plumes. À moins évidemment que les prochaines échéances électorales ne donnent la main à l’extrême-droite dont un amendement (repoussé) la semaine dernière à l’Assemblée Nationale préconisait purement et simplement la disparition du CNC…
"Y-a-t-il encore une place pour une stratégie en faveur de la culture ?" s’est interrogé Stéphane Sitbon-Gomez, le directeur des antennes et des programmes de France Télévisions qui est arrivé porteur d’une mauvaise nouvelle : l’audiovisuel public ayant perdu 200 M€ de dotations en 18 mois par coupes budgétaires successives, son investissement dans le cinéma français baissera de 5M€ l’an prochain (sur les 80 M€ annuels, dont 65 M€ en préachat, de l’accord signé en 2024).
Le financement de la production, est au cœur de toutes les préoccupations (lire l’interview de Marie Masmonteil), avec un risque d’accentuation de la polarisation entre de gros films (désirés par tous diffuseurs) et des petits films (à moins de 4 € de budget) qui survivront grâce à la clause de diversité des obligations d’investissement, le tout au détriment du segment des films du milieu (entre 4 et 7 M€ de budget) qui signe souvent de très bonnes surprises (La nuit du 12 [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Dominik Moll
fiche film], Antoinette dans les Cévennes [+lire aussi :
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fiche film]) et abrite le noyau du cinéma d’auteur français qui brille dans les grands festivals.
Des perspectives peu réjouissantes qui ont fait réagir Bruno Nahon (producteur chez Unité) : "La créativité dépend de l’indépendance. Même s’ils disent le contraire, les sociétés de production qui appartiennent à des groupes ne sont pas indépendantes (…). La vraie indépendance doit être soutenue par des mécanismes publics qui favorisent et récompensent les producteurs qui prennent réellement des risques. Où est l’équité dans notre système ? Les inégalités se creusent dans notre secteur et il faut les corriger. Il faut sanctuariser les cinéastes et les scénaristes car sans eux, il n’y a rien. Ensuite, il faut discuter avec les acteurs, parler de la flexibilité des équipes et repenser la distribution car les sorties impactent les remontées de recettes : on peut faire 1 million d’entrées et rien ne remonte ! Or c’est nous qui faisons le marché."
À ce propos, le cinéaste Pierre Jolivet, a rappelé qu’une action en justice, initiée par L’ARP, le SPI, l’UPC et la SRF) était en cours pour contester l’accès au compte de soutien du CNC d’une production Radar Films, filiale d’un groupe (Mediawan) qui serait détenu majoritairement par un fond américain. "C’est une procédure complexe et existentielle. Si nous perdons, ce sera un message envoyé aux États-Unis : venez créer votre filiale française à 51% et concluez juste un pacte d’actionnaires sur la liberté artistique. Ce serait un cheval de Troie !"
Denis Pineau-Valencienne (Les Films du Kiosque) et Marc Missonnier (Moana Films) ont dévoilé une étude de l’Union des Producteurs de Cinéma sur la prise de risque des producteurs indépendants. Conclusion : elle est de plus en plus importante au stade de la fabrication avec un sous-financement chronique. Et la variable d’ajustement de la réduction des jours de tournage est en train de s’épuiser.
Un climat donc tendu où la solidarité de la filière cinématographique sera cruciale dans un panorama qualifié par Maxime Saada (président du directoire de Canal+, toujours le premier financeur du cinéma français malgré un repli d’un tiers de ses investissements annuels) "de grande confusion générée par la bascule des usages vers les plateformes de partage de vidéos sur lesquels les contenus se professionnalisent" (n.d.r. comme l’ultradominant YouTube que le cinéma français espère impliquer davantage dans son système de financement de la production et de fenêtres de diffusion). Une instabilité amplifiée selon lui par la porosité entre les modèles (accord Amazon/France Télévisions, TF1/Netflix, etc.), par le protectionnisme à la sauce Trump, par les réflexes anti-européens des streamers, et par la consolidation en cours parmi les acteurs mondiaux du payant (notamment les studios américains). Ceci pour ne rien dire de la révolution de l’intelligence artificielle générative avec son lot trouble d’opportunités et de périls. Autant de turbulences qui donnent des sueurs froides aux producteurs, même si Maxime Saada a partagé un optimisme contre-intuitif, à la lumière du rachat récent par Canal+ de 34% du groupe d’exploitation UGC, en insistant sur le rôle essentiel de la salle de cinéma dans la protection de la valeur des films et en notant que contrairement à ce que les résultats globaux d’une fréquentation en difficulté pourraient laisser penser, le nombre de Français allant au cinéma augmente depuis trois ans, simplement il y vont moins fréquemment. Une petite note d’espoir dans un ciel chargé de lourds nuages, y compris du côté européen avec des incertitudes sur le soutien au cinéma du prochain programme AgoraEU et un Parlement européen où les forces peu favorables à la Culture sont légion.
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