"Avoir une enseigne solide et s'assurer que les gens vont aller voir un film qui vaut le coup qu'ils prennent le risque est important"
Dossier industrie: Distribution, exploitation et streaming
Luce Grosjean • Distributrice, Miyu Distribution
par Olivia Popp
La directrice d'une des sociétés de distribution indépendantes les plus appréciées d'Europe parle de leur approche centrée sur les réalisateurs et de l'importance des festivals

Miyu Distribution s’est fait un nom dans la distribution internationale de courts-métrages d’animation de qualité et à présent, la société se lance dans l’univers du long-métrage. La société française a présentement trois films en lice pour l'Oscar du meilleur film d’animation et deux dans la même catégorie aux César. Nous avons rencontré Luce Grosjean, cofondatrice et PDG de Miyu Distribution, pour parler des humbles origines de la société, de son évolution vers le long-métrage et de distribution en matière d’animation.
Cineuropa : Comment a commencé Miyu Distribution, comment la société a-t-elle évolué ?
Luce Grosjean : [Avant Miyu], je travaillais principalement en free-lance : j'envoyais des films à des festivals de la part d'écoles d’animation, comme service, parce qu'ils avaient besoin que quelqu’un le fasse. J’ai commencé à comprendre que certains festivals ont plus d’impact sur le parcours des films. Deux ans après, j’ai décidé d’ouvrir une société, car je voulais faire de la production et de la distribution. L’idée était juste de se maintenir à flot, donc il n’y avait pas vraiment de modèle commercial. Je me suis rendu compte quelques années plus tard que la production n’était pas mon truc, alors quand Emmanuel-Alain Raynal, le fondateur de Miyu Productions, m’a proposé un partenariat pour créer Miyu Distribution, en 2017, ça m’a paru la meilleure idée du monde. J’essayais vraiment d'être active dans la distribution, en particulier de courts-métrages d’animation, que j’adore. C’est de l'art, mais c'est un domaine un peu sous-estimé, alors je veux m'assurer de lui consacrer autant d’amour et d’attention que possible.
Quel est votre modèle commercial ?
Notre modèle commercial pour les longs-métrages repose principalement sur la rémunération des projections festival, où ce n’est pas commercialisé, donc nous prenons 50 %. Pour les courts-métrages, nous avons aussi les droits, mais nous comptons surtout sur les frais de service liés à l'envoi des films aux festivals. Nous essayons de ne plus faire que des festivals, mais aussi des ventes, en jouant avec la saison des prix de cinéma. Mais le plus gros de nos revenus vient des ventes liées aux festivals ou des locations pour exploitation en salle. Quand nous faisons une grosse vente à plateforme ou une chaîne de télévision importante, c’est formidable, parce que ça représente des liquidités qui vont directement aux détenteurs de droits, mais la location reste la source de revenus qui nous permet de couvrir nos frais et de nous assurer que les films amènent au moins un peu d’argent aux détenteurs de droits.
Si votre cœur d'activité reste le court-métrage d’animation, vous avez récemment décidé de vous aventurer dans la distribution de longs-métrages animés. Pouvez-vous nous parler de certains de ces titres ?
En 2021, nous avons commencé à faire un petit peu de distribution et de ventes de longs-métrages. C'est arrivé avant tout parce qu'on avait un film dominicain, Olivia et les nuages, qui correspondait exactement à ce que je cherchais : une belle animation, une histoire formidable... mais un titre difficile à vendre. Il n’y avait pas vraiment de modèle commercial pour ça, mais l'idée était de travailler ensemble pour que le film ait du succès. J’ai aussi reçu un long-métrage intitulé La gran historia de la filosofía occidental qui vient de faire sa première mondiale à Rotterdam. Le film est si singulier que j'étais sûre qu’il marcherait.
Qu’est-ce qu’il y a d'unique ou de difficile dans la distribution de films d’animation en particulier ?
Les gens sous-estiment cette forme artistique. Je suis convaincue que tout le monde va découvrir, dans quelques années, que l’animation est une des formes artistiques les plus cool qui soit. Je crois vraiment que c’est une question de foi, et c’est quelque chose que je partage avec mes partenaires chez Miyu Productions. Le public ne sait jamais ce qu'il va découvrir avant d’arriver au cinéma. C’est pour ça que je pense qu'avoir une enseigne solide comme Miyu et nous assurer que les gens vont aller voir un film qui vaut le coup qu'ils prennent le risque est important.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le rôle des festivals dans votre métier ?
Nous utilisons les festivals comme un bon endroit pour lancer les films, les promouvoir et toucher des gens. Le succès d’un film en festival est un bon outil marketing. C’est tellement difficile de faire en sorte qu'un court-métrage existe que je dirais que l'outil principal dont nous disposons, ce sont les programmateurs, en qui nous avons confiance. Nous les voyons comme des curateurs qui vont aider les films à toucher un public de choix, et ça nous permet d'intéresser les buyers.
Qu'est-ce qui vous attend en 2025 ? Avez-vous de nouveaux développements en vue ?
Mon objectif, pour le moment, est de me concentrer sur [les deux longs-métrages précités] et de continuer de faire connaître des nouveaux talents. Nous allons aussi lancer un programme de courts-métrages sur la masculinité en France – ça va être amusant de voir comment les gens réagissent. J’essaie vraiment d'assurer davantage la partie financière pour la société. Nous sommes en train de terminer le développement d’un logiciel qui va aider les gens qui travaillent avec nous de voir de manière plus claire et transparente comment nous envoyons les titres aux festivals. Nous avons une grosse banque de données donc les réalisateurs, les producteurs et les détenteurs de droit peuvent contrôler où nous envoyons les films. Mon objectif, cette année, est d’essayer d’élargir ce service à un public plus vaste, au niveau mondial, car nous avons des connaissances auxquelles nous souhaitons que plus de personnes aient accès.
(Traduit de l'anglais)
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