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"L’une des tendances majeures dans le documentaire, c’est de changer les regards"

Dossier industrie: Documentaire

Mathieu Béjot • Directeur de la stratégie et du développement, Sunny Side of the Doc

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Le directeur de la stratégie et du développement de l’événement évoque sa 34e édition et décrypte les tendances du marché et du financement des documentaires

Mathieu Béjot  • Directeur de la stratégie et du développement, Sunny Side of the Doc

Marché incontournable du genre, le 34e Sunny Side of the Doc se déroulera du 19 au 22 juin à La Rochelle (lire la news). Le directeur de la stratégie et du développement de l’événement Mathieu Béjot évoque l’édition et décrypte les tendances du marché et du financement des documentaires.

Cineuropa : Comment se présente cette édition 2023 du Sunny Side of the Doc ?
Mathieu Béjot : Nous allons retrouver à La Rochelle des pays que nous n’avions pas vus depuis 2019, notamment la Chine, et d’autres qui étaient encore en pointillés l’an dernier comme l’Australie, les États-Unis ou le Brésil. Ce que l’on sent globalement, c’est que cela répond très bien à l’international aussi bien du côté des Européens que des extra-européens. Il y a une bonne dynamique internationale pour le Sunny Side qui assez unique dans le domaine du documentaire puisque nous sommes le seul évènement 100% marché. Et ce n’est pas seulement un évènement de pitchs, puisque nous avons un vrai marché avec des stands tenus par des producteurs, des vendeurs internationaux, des diffuseurs et beaucoup d’ombrelles nationales (le Canada, l’Italie, l’Espagne, etc.). Les professionnels y discutent business, à la fois en amont pour de la coproduction avec des porteurs de projets présents pour trouver des partenaires artistiques et/ou financiers, et en aval avec la vente de programmes documentaires finis.

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Quant aux sessions de pitchs, elles sont dans l’ADN de Sunny Side et l’une de nos activités phares avec la particularité d’être thématiques : Histoire, Sciences, Art & Culture, Nature & Conservation, Global Issues avec l’actualité et les faits de sociétés. S’y ajoutent une session dédiée aux Nouvelles voix, c’est-à-dire aux premiers et seconds films, et l’autre, toute nouvelle, pour les campagnes d’impact qui sont de plus en plus présentes dans le documentaire : comment aller au-delà des spectateurs qui sont derrière leurs écrans pour démultiplier ses audiences et surtout les influencer avec par exemple le politique qui change la législation sur un certain sujet, la prise de conscience de certains problèmes sociétaux, des appels à dons, etc. : il y a toute une gamme dans l’impact et cela devient de plus en plus crucial, notamment parce qu’il y a une pléthore d’offre et que malheureusement certains documentaires disparaissent un peu dans le flux de cet ogre consommateur de programmes que sont la TV et les plateformes.

Parmi les 320 projets candidats à vos sessions de pitchs (42 sélectionnés), avez-vous repéré des tendances ?
Les objectifs de développement durables définis par les Nations Unies sont très présents et pas uniquement dans la catégorie Nature & Conservation, mais aussi en Sciences, en Histoire, en Arts & Culture, etc. Malheureusement et c’est l’époque qui veut cela, les conflits s’invitent également de manière assez forte dans différentes sections. Enfin émerge une tendance à la redécouverte de personnalités un peu oubliées, en particulier féminines. Au-delà de ces thématiques, il est difficile de dégager des tendances car nous sommes et nous tenons à être sur une offre extrêmement variée. Nous faisons attention à ne pas sélectionner de "grosses propriétés" car nous savons que ces projets aboutiront parce qu’ils sont pilotés par d’importantes sociétés de production. Nous essayons de donner une chance à des producteurs ou à des sujets plus pointus ou moins exposés, mais qui ont un potentiel international, pour que le Sunny Side soit une rampe de lancement et pas seulement un marché de confirmation de projets dont on sait qu’ils vont se faire. Il faut prendre des risques et accepter que tous les projets pitchés ne finiront pas tous forcément par se faire car c’est notre responsabilité en tant que marché de donner des possibilités à des gens qui en ont vraiment besoin.

De votre point de vigie, quels types de documentaires cherchent les diffuseurs ?
C’est difficile à dire car nous représentons énormément de diffuseurs et de genres différents, mais ce qui ne change pas, c’est qu’il y a un besoin de gros documentaires événementiels qui seront diffusés en prime-time sur les chaînes TV ou qui remonteront dans l’offre des plateformes, et dont on parlera dans la presse.

Sur les sujets, l’une des tendances majeures dans le documentaire, c’est de changer les regards et c’est lié à tout le mouvement de diversité-inclusion : un sujet raconté aujourd’hui doit l’être par des gens qui sont légitimes pour le raconter et il faut marier les points de vue, autrement dit que ce ne soit pas seulement une demi-douzaine de pays occidentaux qui aient le documentaire comme terrain de jeu. Quand on veut faire documentaire animalier, on ne peut plus se contenter d’envoyer une équipe française ou anglaise en Afrique, il faut avoir des talents locaux. Et au delà de ces talents locaux, il faut également apporter des sujets nouveaux, des angles nouveaux sur la manière de revisiter des sujets déjà connus, que ce soit en Histoire, en Sciences, en Arts & Culture, en privilégiant des points de vue authentiques que l’on n’a pas assez entendus jusqu’à maintenant.

Nous allons également organiser un panel sur la façon dont peuvent être déclinées les propriétés intellectuelles et les univers sur différents médias et sur différents formats. L’idée est de voir comment certains groupes, y compris de production documentaire traditionnelle, sont aujourd’hui dans le "digital first", conçoivent des programmes qui vont être sur les réseaux sociaux, mais faire aussi du podcast et pourquoi pas de la fiction, du spectacle vivant, de l’édition ; comment aujourd’hui on ne peut plus se contenter de produire un documentaire sur une chaîne, mais qu’il faut varier ses sources de financement. Et c’est aussi une manière de diversifier les publics.

Quid justement du financement du documentaire ?
Le documentaire est un genre assez protéiforme avec une production massive, mais le financement est fondamentalement compliqué. C’est un genre de plus en plus prisé du public, mais qui ne bénéficie pas des mêmes soutiens que d’autres genres car on considère que cela coûte moins à faire et l’on s’attend parfois paradoxalement à ce qu’il réalise les mêmes audiences en prime-time alors que l’on n’est pas sur les mêmes budgets que la fiction par exemple. Or le documentaire peut coûter cher car c’est beaucoup de recherches en amont, et qu’aujourd’hui par exemple on s’attend à voir des images de synthèse exceptionnelles pour les documentaires scientifiques, etc. Par ailleurs, les diffuseurs traditionnels ont des soucis de financement à cause de l’atomisation croissante de l’audience donc des recettes publicitaires qui vont vers le numérique. Des cases traditionnelles de documentaires ferment, ce qui impacte évidemment le financement des documentaires. Les plateformes ont créé un appel d’air pendant un petit moment, mais on voit bien qu’elles sont dans une phase de restructuration, notamment les américaines qui s’aperçoivent qu’elles ont beaucoup investi en contenus mais qu’à un moment donné il faut aussi penser en termes de rentabilité. Donc elles serrent les boulons en matière d’investissement dans les contenus. C’est donc un moment paradoxal car on sent qu’il y a un appel d’air dans le documentaire qui plait énormément au public, notamment les 18-40 ans qui ne font pas confiance aux médias traditionnels pour l’information et qui se tournent vers le documentaire pour essayer de comprendre le monde. Mais les financements ne suivent pas forcément cet appétit du public.

L’émergence des séries documentaires a-t-elle-changé la donne ?
Là aussi il y a un paradoxe. Les plateformes ont boosté ce format et il y a de plus en plus de projets, mais les vendeurs constatent que le marché est extrêmement restreint. Beaucoup de producteurs se disent qu’ils vont travailler pour Netflix par exemple et se lancent immédiatement dans des projets de séries, mais tous les documentaires n’ont pas vocation à être des séries. La série documentaire a l’avantage de toucher un public plus jeune car on est sur des écritures un peu de fiction, sur des "cliffhangers", sur la construction de personnages. On voit bien l’intérêt que cela a pour renouveler les écritures documentaires, mais le marché est très étroit aujourd’hui avec beaucoup d’offre et beaucoup moins de demande.

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