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"Est-ce que nos actifs culturels stratégiques sont suffisamment défendus ?"

Dossier industrie: Tendance du marché

Lucie Girre • Déléguée générale, L’ARP

par 

Bipolarisation, capitaux extra-européens, intelligence artificielle : la déléguée générale de l'association décrypte les sujets chauds de l’actualité de l’industrie cinématographique française

Lucie Girre  • Déléguée générale, L’ARP
(© Julien Mas)

Échange avec Lucie Girre, la nouvelle déléguée générale de la très influente L’ARP -Société civile des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs, à l’occasion de la 33e édition des Rencontres Cinématographiques (au Touquet-Paris-Plage du 8 au 10 novembre).

Cineuropa : Quelle est votre analyse de la bipolarisation croissante de la production et de la fréquentation en France ?
Lucie Girre : Certains évoquent une faiblesse du modèle français car un certain nombre de films réalisent très peu d’entrées, mais je pense au contraire que notre modèle est plutôt fort. Il s’est montré résilient à la sortie de la crise sanitaire avec des chiffres très encourageants, tant au niveau de la fréquentation que de la production. Néanmoins, dans le détail, il y a des signes auxquels il faut prêter attention, en particulier les échecs en salles de certains films que les distributeurs indépendants attendaient à des niveaux plus élevés. Il y a un potentiel décrochage des publics et il faut s’interroger sur sa nature et ses raisons, identifier si cette tendance est structurelle ou conjoncturelle, car on sait que cela aurait un impact sur la diversité de la création qui est au cœur de nos préoccupations et de nos objectifs. La fragilisation des distributeurs indépendants interagit notamment sur la production des "films du milieu" avec un risque important pesant sur les professionnels de la filière qui portent ces films. C’est en ce sens qu’il y a une forme de bipolarisation car il n’y a pas forcément plus de gros films et de petits films, mais il y a surtout moins de "films du milieu". Certains font tout de suite le raccourci sur la question de savoir s’il y a trop de films ou pas, mais selon nous, il s‘agit plutôt d’analyser si les films sont justement produits ou pas, s‘ils ont l’argent qu’il faut ou pas. Il faudrait peut-être par exemple mieux accompagner les distributeurs indépendants, afin d’augmenter les MG (Minimum Garanti) sur les "films du milieu", et y réfléchir dans le cadre de la revue générale des aides du CNC.

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Quid du sujet épineux des investissements extra-européens dans des sociétés de production françaises ?
Au niveau européen, les aides MEDIA visent assez explicitement les Européens comme bénéficiaires finaux. Nous voulons être sûr qu’en France, les bénéficiaires finaux des aides à la production du CNC sont bien européens et non extra-européens. Aujourd’hui, les aides du CNC s‘appuient sur un article du Code du commerce qui stipule que le contrôle des sociétés ne se définit pas par rapport au capital, mais à travers la gouvernance. Cela induit un risque pour nos actifs culturels stratégiques et pour la propriété intellectuelle. Pour l’ARP, les aides publiques doivent viser à la consolidation des actifs culturels européens. Avec des sociétés détenues majoritairement par de capitaux extra-européens (souvent des fonds d’investissement), est-ce que nos actifs culturels stratégiques sont suffisamment défendus ? Cela concerne actuellement moins le cinéma que l’audiovisuel, mais c’est une tendance existante (nul besoin de citer les sociétés en question, elles se reconnaîtront) et une fois que la porte est ouverte... D’ailleurs, l’ARP, la SRF (Société de Réalisateurs de Films), le SPI (Syndicat des Producteurs Indépendants) et l’UPC (Union des Producteurs de Cinéma) ont déposé un contentieux au tribunal administratif sur un agrément délivré par le CNC à une société qui est une filiale d’une structure détenue par de capitaux extra-européens. Nous ne sommes pas du tout contre le fait d’attirer des investissements afin de consolider la production française et européenne et nous avons confiance en l’attractivité de notre secteur, mais pas au détriment de notre autonomie et de notre souveraineté, ce qui est le cas quand on devient dépendant de capitaux extra-européens.

Autre vaste sujet névralgique au menu de débats de Rencontres Cinématographiques : l’intelligence artificielle (IA).
Si l’intelligence artificielle générative n’est pas encadrée, c’est très clairement une menace. Comme pour l’attractivité et la souveraineté qu’on oppose souvent (alors que nous pensons que les deux peuvent aller ensemble), certains rejettent toute idée d’encadrement de l’IA au nom de l’innovation, pour ne pas freiner la compétitivité. Mais c’est le rôle de la régulation de trouver un point d’équilibre, la difficulté étant de savoir où placer le curseur. Les discussions en cours à Bruxelles sur l’IA doivent viser ce point d’équilibre. L’Europe a été construite sur des valeurs qui font aujourd’hui sa force et l’encadrement des réseaux sociaux via le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA) doit être l’exemple à suivre. Ces espaces qu’on pensait incontrôlables avec une certaine fatalité, finalement on arrive ou au moins on essaye de les encadrer, de les réguler, et ce n’est pas pour autant que ces réseaux sociaux ont déserté notre marché. Pour l’IA, ce qu’a manifesté la grève à Hollywood, c’est qu’on peut arriver à une régulation associant producteurs, diffuseurs et scénaristes, ce qui réduit les périls à court terme. Il faut voir comment cela fonctionnera et comment tout le monde appliquera les règles, mais je pense qu’en Europe, on peut avoir le même regard : que l’IA soit un outil pour les scénaristes, mais encore faut-il le laisser à sa place d’outil.

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