"Rendre le cinéma plus accessible, montrer que ce n’est pas un truc poussiéreux pour les vieux, qu’on peut se réinventer"
Dossier industrie: Nouveaux médias
Daniela Elstner • Directrice générale, Unifrance
par Fabien Lemercier
La pilote de l’agence française parle de MyMetaStories, le très original festival de cinéma européen organisé en ligne et surtout dans Minecraft

À la veille du démarrage de la 3e édition de MyMetaStories (lire l’article), Daniela Elstner, la directrice générale de l’agence de promotion du cinéma français à l’international Unifrance, donne son point de vue sur une expérimentation inédite.
Cineuropa : Quel bilan avez-vous tiré de l’expérience dans Minecraft lors des deux premières éditions de MyMetaStories?
Daniela Elstner : La très bonne nouvelle, c’est que nous attirons du monde, que les gamers vont voir des films dans les salles virtuelles avec un excellent taux de transformation et que les influenceurs jouent le jeu. Il y a donc une vraie piste à creuser en termes de travail autour des films, quelque chose qui ne serait pas si coûteux que cela à mettre en place pour des distributeurs qui auraient beaucoup à gagner à faire de la promotion dans cet univers. Ce ne serait pas très compliqué car nous avons déjà développé des outils. Donc nous sommes en train de réfléchir sur la manière de pérenniser l’opération, pas forcément avec nous, mais pour que la marque MyMetaStories perdure.
Combien de ces gamers séduits par MyMetaStories iront en salles ensuite dans la vraie vie ? Nous n’en savons rien, mais c’est la même incertitude pour la promotion pour les films via des affiches dans le métro par exemple. Et c’est surtout une autre manière d’aller chercher du public, et un public jeune qu’on a tendance d’ailleurs à sous-estimer en le considérant comme perdu alors que des succès en salles ont prouvé le contraire comme ceux du Consentement [+lire aussi :
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fiche film] (devenu viral sur TikTok) et de L’amour ouf [+lire aussi :
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fiche film] (qui n’était pourtant pas ciblé particulièrement sur les jeunes, ces derniers ayant finalement presque davantage plébiscité Mallory Wanecque et Malik Frikah plutôt que Adèle Exarchopoulos et François Civil).
Quid de l’impact des influenceurs dans l’expérimentation ?
Il est énorme. C’est vraiment à travers eux que nous attirons notre communauté, en sachant que si nous avions beaucoup de moyens financiers pour faire de la publicité sur Minecraft, nous n’aurions sans doute pas besoin d’eux. Mais comme nous n’en avons pas assez, nous devons passer par des relais. Cependant les influenceurs que nous avons choisis ne sont pas des influenceurs faisant du placement de produit comme ils le feraient d’un shampoing. Ils sont issus du monde du gaming et ils se rémunèrent sur les heures qu’ils passent à jouer avec leurs communautés. Et nous avons trouvé de vrais passionnés, qui se sont impliqués bien au-delà de nos attentes.
Au-delà des résultats immédiats et mesurables, est-ce simplement une façon de rendre le cinéma plus "hype" ?
Oui. Il s’agit de rendre le cinéma plus accessible, montrer que ce n’est pas un truc poussiéreux pour les vieux, qu’on peut se réinventer et avec des courts métrages sélectionnés qui interrogent les problématiques des jeunes. Nous faisons l’effort de nous mettre à leur niveau, de parler dans leur langage, avec leurs propres codes et d’une manière ludique, sans obligation (car on peut sortir quand on veut), avec la possibilité d’être surpris et aussi de découvrir à travers les mini-jeux que le cinéma, c’est tout un univers (le tournage, des lieux, des pays, etc.). Il n’y a pas de recette magique. Il faut oser des expérimentations. Sans Creative Europe – Media, nous n’aurions pas pu mener cette expérience qui nous a permis de tester beaucoup de choses. Les musées sont en avance dans ce domaine, mais c’est maintenant qu’il faut aller chercher ces jeunes gamers, d’autant plus qu’ils continuent à jouer largement au-delà de la trentaine.
Comment cette expérience dans Minecraft a-t-elle été accueillie par les professionnels de l’industrie cinématographique ?
En trois ans, la donne a beaucoup changé et tous les producteurs de courts métrages sont désormais très enthousiastes pour cette expérimentation Minecraft. Arte a aussi été tout de suite d’accord pour participer MyMetaStories dans Minecraft avec la série d’animation Samuel. Et quand j’ai approché Sony pour la bande-annonce de Marcel et Monsieur Pagnol [+lire aussi :
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interview : Sylvain Chomet
fiche film] de Sylvain Chomet, ils étaient un peu interloqués au départ, mais ils ont finalement compris le projet et accepté de s’y engager. Pour tous les professionnels, Minecraft est un territoire totalement vierge, où personne n’a de repères. Quant aux artistes, aux réalisateurs, ils sont tous demandeurs.
Quelle est votre analyse pour le volet en ligne du festival ?
L’objectif était de créer un festival en ligne européen, ce qui n’existait pas. Mais la conclusion est assez radicale : avec toutes les possibilités ouvertes en ligne depuis le Covid, cela n’a pas beaucoup d’intérêt. Soit on a énormément d’argent, on s‘appelle Netflix par exemple et on peut le faire, mais seuls à notre échelle… Cela aurait peut-être du sens si tous les Européens du type Unifrance se mettaient ensemble, avec chacun un budget et une volonté politique, pour organiser un énorme festival avec un peu de publicité. Mais un festival européen piloté seulement par Unifrance dont ce n’est pas la vocation, cela ne peut pas vraiment marcher. Car nous avons rencontré des difficultés à émerger dans un monde où les plateformes et leurs offres très larges sont reines. Nous avons aussi envisagé de proposer certains longs-métrages gratuitement (mais avec des géoblocages) sur YouTube, mais il y a eu un véto total des ayants droits à cause des risques de piratage. Pour les longs métrages, il faut vraiment travailler avec des plateformes très bien identifiées, que les ayants droits connaissent et avec lesquelles ils se sentent confortables.
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