Cannes 2023
Dossier industrie: Tendance du marché
L'IA, outil et menace pour les créateurs, en débat à Cannes
par Valérie Ganne
CANNES 2023 : L'arrivée de l'IA générative ouverte aux utilisateurs est un bouleversement sans précédent pour la création, mais elle menace également le droit d'auteur
Armand Joulain, longtemps directeur de la recherche scientifique chez Meta (qu'il a quitté il y a une semaine) a ouvert la table ronde "Quel avenir pour la création cinématographique à l’heure de l’intelligence artificielle ?", organisée par SACD et le CNC au Festival de Cannes par des explications : "Les IA génératives produisent, à partir de gigantesques quantités de données, de nouvelles images et de nouveaux textes. Pour donner un exemple, les IA peuvent écrire des scenarios mais à partir de data, c'est à dire de scenarios existants. Elles ne peuvent pas inventer une nouvelle manière d'écrire. C'est vertigineux de mettre ces outils de création à disposition de tous. Mais nous sommes très conscients des risques de génération de contenus agressifs ou toxiques et nous savons que cela devient de plus en plus difficile de détecter du contenu généré par une IA."
A cette menace s'en ajoute une autre, concernant le droit d'auteur : qui est le propriétaire d'une oeuvre générée par un créateur utilisant l'IA ?
Laurence Farreng députée européenne (Commission culture éducation jeunesse et sports) a confirmé que "depuis avril 2021, les commissions européennes du marché intérieur et des libertés civiles travaillent à un encadrement de l'utilisation des IA. Un premier texte va être proposé en juin au parlement européen. Pour l'instant il s'agit d'interdire les IA de manipulation d'informations, de notation sociale à la chinoise, et de réguler les IA à hauts risques (reconnaissance faciale, santé publique). Ce n'est que le début d'un long travail, car le texte prend aussi en compte la création culturelle."
Juriste spécialisée dans ces questions, Alexandra Bensamoun a souligné que "le monde de la culture doit rester très attentif à ce texte qui aura des effets en matière de propriété intellectuelle. Il est essentiel d'imposer une notification obligatoire et systématique quand un contenu a été généré par une IA, et de rendre disponible un résumé des données utilisées par l'IA pour une oeuvre quand elles sont protégées par le copyright."
Gilles Gaillard (Animaj) est assez pessimiste : "Nous utilisons depuis longtemps les IA en matière d'effets spéciaux. Cela me parait difficle de ralentir le mouvement actuel. En tant que producteur, quand je passe un contrat d'écriture avec un scénariste, si sa création est cogénérée par une IA, nous pouvons être accusés de plagiat. C'est un énorme souci juridique. "
Simon Bouisson est un créateur qui a très tôt utilisé l'IA pour ses scénarios, notamment en résidence à la villa Albertine de Los Angeles. "C'est un outil pour l'imagination, avec lequel je travaille en anglais. L'IA nous challenge en nous donnant des idées. En 2022, ce que me proposait Chat GPT était inventif, mais aujourd'hui c'est beaucoup plus consensuel. J'ai demandé aux chercheurs américains avec qui je collaborais de nourrir l'IA avec mes 100 scénarios préférés, mais juridiquement c'était déjà impossible. De toutes façons il manquera toujours à la machine l'obsession narrative et thématique humaine."
Stéphane Sitbon Gomez, directeur des antennes et des programmes de France Télévisions, a rappelé que "les IA ne sont pas intelligentes. Elles ne font que réinterpréter des données et des comportements existants. Nous sommes entrés dans une civilisation de capture de l'attention du consommateur et pour cela l'IA est aussi une technique formidable. Mais a-t-on envie de vivre dans cet univers ? Un outil aussi puissant doit avoir une finalité. "
Aujourd'hui la lenteur du législateur fait face à la vitesse de développement des intelligences artificielles. Mais la juriste Alexandra Bensamoun reste optimiste : "Il ne faut pas s'inquiéter de la lenteur du droit. Quand un besoin social émerge, il est souhaitable que le droit ait le temps de la réflexion." Quant à la députée Laurence Farreng, elle a conclu sur la démocratie : "à nous de choisir notre société, la place de la justice, de l'éducation et de la liberté d'expression. Nous sommes en train de définir la frontière de nos libertés, car ce qui nous différencie de l'IA c'est la conscience. "
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