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RENCONTRES L'ARP 2020

Carole Scotta • Distributrice, Haut et Court

"Nous ne pourrons pas être seuls à la fois face aux studios et aux plateformes"

par 

- Carole Scotta, co-fondatrice de Haut et Court et co-présidente des Distributeurs Indépendants Réunis Européens (DIRE), analyse la crise actuelle et évalue les pistes de relance

Carole Scotta • Distributrice, Haut et Court
(© Géraldine Aresteanu)

A l’occasion de l’édition spéciale (en ligne) des Rencontres Cinématographiques de L’ARP, rencontre avec Carole Scotta, co-pilote de Haut et Court (où oeuvrent également Caroline Benjo, Simon Arnal, Barbara Letellier et Laurence Petit) et co-présidente des Distributeurs Indépendants Réunis Européens (DIRE). Fondée en 1992, Haut et Court a accompagné en distribution et en production de très nombreux grands noms du cinéma mondial (Lanthimos, Cantet, Ade, Kawase, etc.), opère aussi dans le domaine des séries (Les Revenants, The Young Pope) et exploite quatre cinémas dans l’Hexagone (notamment le Louxor à Paris).

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Cineuropa : Avec la crise sanitaire et cette nouvelle fermeture des salles en France, quelle est votre analyse de la situation ?
Carole Scotta
 : On ne va pas s’étendre sur le marasme actuel, mais on peut regretter évidemment que la question des établissements culturels n’ait pas été soumise à un régime différent. Même si je sais que la ministre de la Culture s’est battue, c’est quand même rageant de se dire que les salles sont mises dans la catégorie des zones à risques alors qu’elles ne le sont pas et qu’aucun cas de Covid n’y a été identifié. On ne parle que des restaurants et des bars, des coiffures ou des fleuristes, comme si les salles de cinéma et de théâtre n’existaient pas. Cela pose une question plus fondamentale : qu’est-ce qu’on considère être un bien de première nécessité ? Clairement, la culture n’en fait pas partie. Le débat sur les librairies vient d’illustrer l’étendue de cette absurdité. Maintenant, compte tenu des chiffres de contamination, on ne va pas faire les rebelles, mais c’est vrai que nous avons l’impression que nous n’existons pas.

La situation est cependant très différente de celle que nous avons vécue au printemps car les salles allaient rouvrir dans une période plutôt faible en propositions de films, alors que là, si tout va bien, nous rouvrirons entièrement ou partiellement au moment de Noël et on sait à quel point le mois de décembre est très chargé en termes de sorties. En plus, quand les salles avaient fermé en mars dernier, tout avait été déprogrammé et le Festival de Cannes n’ayant pas eu lieu avait oblitéré un certain nombre de sorties. Là, tous les films sont datés, donc il va falloir rouvrir avec ces films en réservant l’espace requis pour ceux dont la carrière vient d’être arrêtée en plein vol. Il va y avoir un très gros chantier de régulation du marché. Les salles à 10-12 écrans pourront absorber le volume de sorties, mais ce sera beaucoup plus compliqué pour les établissements de moins de 7 écrans.

Quel est le degré de gravité de l’impact financier de la crise sanitaire pour les distributeurs français ?
Nous avons fait le dos rond pendant la première phase et nous avons rencontré des problèmes dès la réouverture des salles en constatant que certains films ne marchaient plus du tout. D’autres films, comme Antoinette dans les Cévennes [+lire aussi :
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, s’en sont cependant très bien sortis en profitant d’un marché qui redémarrait et d’une absence de concurrence des films de studios américains. Tout cela n’aide pas du tout la diversité car pour les films aux sorties plus confidentielles, c’est extrêmement compliqué et je pense que parmi les plus petits distributeurs, il va y avoir de la casse. Nous essayons justement, syndicalement, de voir quels sont les trous dans la raquette de ce qui a été proposé par le gouvernement, pour essayer de sauver ceux qui passent un peu au travers, par exemple les films qui font leurs entrées sur des périodes plus longues avec des animations et qui en ont été privés avec le couvre-feu, ou plus généralement les films ayant souffert de la forme prise par la fréquentation ces dernières semaines qui se portait chaque semaine seulement sur un ou deux films. Car il y a moins de curiosité des spectateurs dans un contexte de prudence.

Quelles seront les conséquences pour le financement de la production cinématographique française à venir ?
Les distributeurs qui auront sortis des films français générant du soutien, et même du soutien bonifié compte tenu des plans de relance, pourront réinvestir dans des MG. Donc, pour ceux là, cela va pouvoir aller. Pour d’autres, ce sera plus compliqué. Mais si l’on négocie bien avec les plateformes, leur arrivée dans l’écosystème français, normalement en janvier 2021, va peut-être créer un petit appel d’air, même s’il y a des questions qui sont encore à éclaircir et si tant est qu’on puisse les faire rentrer dans la chronologie des médias. Sinon, il y aura des œuvres qui seront faites directement et exclusivement pour certaines plateformes, ce qui permettra quand même aux auteurs, aux réalisateurs, aux équipes et aux producteurs, de pouvoir continuer à travailler. Ce qui est également important et sur quoi nous nous sommes beaucoup battus, c’est la définition du producteur indépendant, que le producteur puisse garder des droits, qu’il ne soit pas un mandataire travaillant pour une simple commission, un premium et rien d’autre. 

Dans les difficultés extrêmes de cette année 2020, l’industrie cinématographique française a fait preuve d’une grande capacité de résilience.
Oui, car quand on voit ce qui se passe ailleurs, nous avons quand même réussir à tenir grâce à notre production nationale et à nos coproductions. Nous avons prouvé que nous avons un écosystème assez pérenne. Mais je suis malgré tout inquiète de ce qui va se passer dans d’autres pays d’Europe. Si certaines salles ferment définitivement, si les marchés locaux s’affaiblissent beaucoup, nous ne pourrons pas être seuls à la fois face aux studios et aux plateformes. Car notre système est aussi interdépendant de talents internationaux. Nous participons au financement de leurs œuvres et il faut qu’ils puissent continuer à faire leurs films chez eux. 

Quelle est la priorité principale à vos yeux ?
Pour la France, que le marché de la salle se remette car c’est quand même rageant de reconfiner au moment où grâce à des films comme Adieu les cons [+lire aussi :
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ADN [+lire aussi :
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Drunk [+lire aussi :
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, etc., le marché reprenait vraiment. L’espoir à terme, c’est qu’une offre attractive pour les publics permette aux salles de retrouver le rythme qu’elles avaient auparavant. Mais c’est aussi que la France ne soit pas seule au monde car nous avons des échos très préoccupants de nos voisins italiens, allemands, anglais, espagnols. Notre avenir se joue à l’échelle européenne et internationale. Par conséquent, il faut aussi que l’arrivée des plateformes soit, comme toutes les inventions, un média supplémentaire, que cela ne prenne pas toute la place. Car j’ai un peu l’impression que certains spectateurs se sont détournés de la salle au profit des plateformes pendant le confinement et ne sont pas retournés en salles depuis : il faut donc espérer qu’ils y retournent

Quelle est l’actualité de Haut et Court ?
Nous allons essayer de maintenir Le Peuple Loup [+lire aussi :
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de Tomm Moore et Ross Stewart pour une sortie le 16 décembre car c’est vraiment un film pour Noël. Nous devons trouver une nouvelle date pour Gagarine [+lire aussi :
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interview : Fanny Liatard et Jérémy Tr…
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de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh et nous remettrons à l’affiche Drunk de Thomas Vinterberg dès la réouverture des salles. Du côté des séries, nous venons de lancer Possessions sur Canal+ et No Man’s Land, disponible pour l’instant sur la plateforme arte.tv, sera diffusé en linéaire et en clair sur Arte fin novembre. Enfin pour les productions cinématographiques, Memory Box de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige sortira au premier semestre 2021 et nous avons plusieurs autres productions et coproductions dans les tuyaux.

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