Barbara Albert • Réalisatrice
“Quand le sentiment de culpabilité se transmet d'une génération à l'autre”
par Vittoria Scarpa
- Les vivants de Barbara Albert raconte le voyage d'une jeune femme à travers les fantômes et le passé de sa famille pendant la Seconde Guerre mondiale.
Les vivants [+lire aussi :
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Cineuropa: Sita travaille pour une émission de télévision censée dénicher des talents. Pourquoi avez-vous choisi ce métier pour l'héroïne de votre film, Les vivants ?
Barbara Albert: Je voulais créer une héroïne moderne qui représente notre monde tel que je le vois. Combien d'entre nous ont des professions reliées au cinéma et aux médias mais ne se rendent pas compte de ce qu'ils en font, de l'influence qu'ils peuvent avoir de ce fait sur tout notre environnement. Sita fait beaucoup de choses, comme la plupart des jeunes aujourd'hui. Elle étudie la littérature allemande, travaille pour une émission télévisée... Elle est toujours en mouvement, sur la route, sans objectif précis.
Dans quelle mesure votre film est-il autobiographique ?
Il raconte l'histoire de mon grand-père, qui a été un officier SS. Il est mort en 1999, quand j'avais 29 ans. Je l'aimais vraiment beaucoup, mais quand j'ai découvert quel était son passé et que je me suis mise à m'interroger sur sa culpabilité ou pas, j'ai senti qu'il me fallait aborder la question de front. Je l'ai fait à travers un film. Ce film parle vraiment de la famille et de la transmission du sentiment de culpabilité à la génération suivante. Je pense qu'il est important de parler des tabous familiaux, non seulement avec ceux qui ont vécu avant nous, mais encore plus avec ceux qui nous succèderont, nos fils et filles.
Quand elle découvre la vérité, qu'est-ce qui change dans l'image que Sita a de son grand-père ? Et comment voit-elle son père ?
Elle a peur de ne plus avoir le droit d'aimer son grand-père. J'imagine même qu'elle ne l'aime plus autant, mais elle a du mal à voir clair dans ses sentiments. Ce qu'elle découvre est trop dérangeant. C'est pour cela qu'elle essaie de se rapprocher de son père. Elle se dit que si elle l'interroge et essaie de comprendre son approche, elle trouvera des réponses, mais je suis d'accord avec son oncle quand il lui demande : "Est-ce que trouver 'la vérité' va nous donner une solution?". Pour elle, son père est un lâche. Elle ne le comprend pas, elle ne comprend pas le fait qu'il n'ait jamais essayé de connaître "la vérité".
La responsabilité, la culpabilité, le pardon et l'héritage sont les grands thèmes au coeur du film. Comment vit-on en effet avec le poids d'une vérité aussi tragique que celle d'avoir dans sa famille un ancien SS ?
Au début, quand on l'apprend, on ressent de la honte, mais je crois que ça n'aide pas. C'est pour cela que j'ai essayé de dépasser cette honte. La honte paralyse, or je crois au développement, au mouvement. Comme le personnage de Sita, j'ai essayé de comprendre où se trouvaient mes responsabilités (et mes culpabilités) dans ma vie à moi. On sent un fardeau, c'est vrai, mais il n'est pas de votre fait. D'un autre côté, il ne faut jamais oublier non plus que vous n'êtes pas une victime : il n'était pas question de me prendre de pitié pour moi-même. Je sais qu'il existe des groupes où se rencontrent pour des raisons thérapeutiques des petits-enfants de victimes et des petits-enfants de bourreaux, pour surmonter ce que leurs familles ont subi ou ce qu'elles ont fait. Quoi qu'il en soit, donner des réponses au cinéma est au moins aussi difficile que dans la vie, et je doute d'avoir trouvé la bonne réponse à cette question.
Quel sera votre prochain projet ?
J'écris une histoire d'amour qui parlera du désir d'enfant, de l'acte de tromper son partenaire et de la culpabilité par rapport à des choses passées. Ce sera aussi un film de fantômes – je me suis toujours intéressée au surnaturel.
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