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Fabrice Du Welz • Réalisateur

Films de genre, réalisme magique et cinéma poétique

par 

- Rencontre avec le cinéaste belge pour parler d'Alleluia, dévoilé à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2014.

Fabrice Du Welz • Réalisateur

Quelle a été l'impulsion de départ d'Alleluia [+lire aussi :
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Fabrice Du Welz: Le film est né de l'envie de retrouver Laurent Lucas, dix ans après Calvaire [+lire aussi :
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(2004). J'ai envie de construire quelque chose avec Laurent. A cela s'ajoute l'envie d'utiliser le contexte des Ardennes et des paysages hostiles qui ont marqué mon enfance. J'ai envie de transcender cela par la caméra, dans un style à la limite du fantastique visuel.

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Le fait divers des "tueurs de la lune de miel" était-il présent dans votre esprit dès cet instant ?

Le vrai point de départ, je dois l'avouer, c'est Yolande Moreau. Nous nous étions vus à l'époque de Séraphine au Festival de Gand. J'ai eu envie d'écrire un rôle pour elle. Peu après j'ai revu le film Les tueurs de la lune de miel de Leonard Kastle (1970). Et la même semaine j'ai vu le film d'Arturo Ripstein (Carmin Profond, 1996), lui aussi inspiré de l'histoire. C'est devenu une évidence de faire quelque chose à partir de l'histoire vraie de Martha Beck et Raymond Fernandez [surnommés aux Etats-Unis "The Lonely Hearts Killers", NdA]. Après, le scénario est devenu tellement furieux, si sexuel, que Yolande a eu un peu peur, ce que je peux comprendre, quand les choses sont devenues plus sérieuses. Mais le temps a bien fait les choses. Laurent s'est imposé très vite pour sa part dans le rôle de ce petit gigolo perturbé.

Pensiez-vous à une trilogie dès Calvaire ?

Non, cela est venu après. Mais cela devient une évidence aussi. C'est peut-être banal de le dire, mais je suis très, très heureux de faire ce film. Je le perçois comme un film de transition. A la fois un retour vers mon cinéma mais aussi un passage vers autre chose. C'est un film qui me met vraiment en joie.

Vous avez effectué un important travail de repérage pour les décors. Certains sont réellement vieux de plus de dix ans. Vous n'avez rien modifié. Aviez-vous un cahier des charges ?

Je suis toujours atterré par la platitude des décors dans certains films et en particulier dans un certain cinéma français. En ce qui me concerne, je réfute la notion de contexte social. Je n'ai rien contre les réalisateurs qui l'utilisent. Mais ce qui me gêne un peu, c'est que dans le cinéma français notamment, on n'accepte la violence que si elle est justifiée ou expliquée par l'origine sociale des personnages. Les Américains se permettent de résister à cela. Dans ce cas précis, par ailleurs, le fait divers m'a moins intéressé que le basculement psychotique de Gloria, le personnage féminin de mon film. Je veux évoquer cela graduellement à travers les images et les décors. Je m'inscris dans une tradition du cinéma belge et du réalisme magique héritée de Delvaux, notamment. Je fais un cinéma épidermique, proche des corps. Cela passe aussi par les décors. La "sainte trinité" formelle d'Alleluia, ce sera : la lumière, les décors et les costumes.

A propos de lumière, il y a notamment la volonté de travailler avec le moins de lumière d'appoint possible.

Pour moi, une bonne photographie, au cinéma, c'est d'abord un bon décor. Dans nos repérages, nous avons déjà affiné les nuances, les contrastes, les lumières. Manu Dacosse (chef opérateur de Amer [+lire aussi :
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et L'Etrange couleur des larmes de ton corps [+lire aussi :
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d'Hélène Cattet et Bruno Forzani, NdlA) a étalonné comme au tournage. Je veux m'embarrasser le moins possible de technique. Il y a de complets clairs obscurs.

Vous avez aussi opté pour un tournage en pellicule, ce qui devient rare.

Je trouve que le numérique n'est pas encore arrivé au piqué de la pellicule, même si de grands réalisateurs comme Michael Mann l'utilisent très bien. Je suis un peu nostalgique. Les jeunes gamins d'aujourd'hui ne savent plus ce que c'est la pellicule ou l'image. Là aussi, je suis parfois sidéré de voir combien dans certains films les réalisateurs maîtrisent mal - ou se fichent - du contraste. Tant que je pourrai, je tournerai en pellicule. Je trouve qu'elle donne plus de beauté et d'âme.

Dans votre rapport esthétique au cinéma, il y a aussi la musique. Que Vincent Cahay a écrite pour Alleluia avant le tournage.

Vincent avait signé la séquence au piano de Calvaire. Je suis son travail depuis longtemps. On lui a demandé une maquette. Il est arrivé avec une version plus féminine de ce thème, quelque chose proche de Philip Glass, avec des sonorités années 80. C'est un thème très précis; avec une vraie dimension. Il m'a déjà donné énormément de matière. On a prévu aussi des moments plus distanciés, en contre-point de la violence.

Il y est aussi le travail sur le son.

J'ai été vraiment passionné par le documentaire L'enfer de Clouzot de Serge Bromberg (2009). Je suis un fan de Clouzot et j'ai été frappé par cette recherche expérimentale sur le son qu'il avait faite pour tenter de refléter la schizophrénie d'un homme. Je ne partirai pas sur la même voie, mais notre idée est aussi de jouer sur le son et la musique pour marquer les ruptures psychotiques. On partira du doux pour monter progressivement avant de revenir à une forme d'apaisement.

Quelle est votre définition du film de genre ?

J'ai toujours un problème avec ce que les "institutions" ou une certaine critique perçoivent comme le film de genre. Il y a un regard un peu élitiste sur le "cinéma de genre". L'essence du cinéma, c'est le cirque, le spectacle. Il est né dans les spectacles forains avec le bateleur qui interpelle le public : "venez donc voir chez moi quelque chose d'inédit". Le cinéma de genre est pratiquement né avec le cinématographe. Et dès le muet et les années 20, il y a eu des films de monstres - Frankenstein (James Whale, 1931), L'homme invisible (James Whale, 1933), King Kong (Merian C. Cooper, 1931)... Le cinéma de genre a eu aussi très tôt une dimension de métaphore sociale, de reflet des maux du monde. En France, depuis la Nouvelle Vague, il est méprisé au profit du naturalisme. C'est dommage. Je n'en fais pas une guerre de chapelle. Mais ce que j'aime, c'est le cinéma poétique. Je chéris Cocteau, Delvaux, Lynch, toute forme d'altérité de la réalité... Je considère que le cinéma de genre est universel. D'ailleurs, quels sont les films qui, universellement, marquent pour dix ans les spectateurs ? Des films comme ceux de Michael Mann, les premiers Scorsese, Old Boy (Park Chan-wook, 2003): des films de genre. Durant l'été 2013, aux Etats-Unis, tous les studios se sont pris des claques avec des franchises. Le film qui a été la surprise ? The Conjuring, un petit film d'horreur de James Wan. On devrait y réfléchir plus souvent.

Quel est le film qui a servi de détonateur à votre passion cinéphilique ?

Sans hésiter, Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper (1974). C'est le film de genre par excellence des années 70. Il fonctionne à des tas de niveaux, notamment comme une fable et comme un pamphlet contre la guerre. C'est un film décrié, dont on a souvent une opinion fausse. Beaucoup de gens pensent qu'il est sanglant, alors que beaucoup de choses se passent hors champ. Tout est suggéré. C'est un film poisseux, qui "sent". Je l'ai vu vers 16, 17 ans et il m'a profondément marqué. Il m'a donné une envie viscérale de faire du cinéma. Je le revois souvent et il me donne une énergie incroyable. Il correspond à mon désir de filmer le chaos sous une forme poétique. C'est aussi un film qui m'a ouvert des portes : Hooper s'est inspiré de l'histoire d'Ed Gain qui avait aussi inspiré Hitchcock : c'est ce qui m'a conduit à voir Psycho (1960), puis les autres films d'Hitchcock.

Ce type de film ne vous aliène-t-il pas d'emblée une partie du public ?

J'avoue que je me pose la question du public depuis que j'ai réalisé Colt 45 [+lire aussi :
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. Pour fédérer les publics, il faut de la tension et de l'empathie. Je ne veux plus laisser les gens dehors. J'aimerais que ma mère ne me dise plus en sortant de la salle : "c'est spécial, ton film !"

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