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JIHLAVA 2018

Marek Kuboš • Réalisateur

"Je ne veux pas faire de documentaires sans êtres humains"

par 

- Le documentariste slovaque Marek Kuboš a parlé à Cineuropa de sa décision de prendre sa retraite, au coeur de son documentaire d'adieu : The Last Self-Portrait

Marek Kuboš  • Réalisateur
(© Art Film Fest)

Marek Kuboš, producteur et documentariste, appartient à une génération de talentueux documentaristes slovaques connue sous le nom de “Génération 90”. Ses films ont une portée sociale très vaste, alors même qu’il se concentre, généralement, sur des individus en particulier. C'est lui-même qui est au centre de son dernier documentaire, The Last Self-Portrait [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Marek Kuboš
fiche film
]
, projeté au Festival international du film documentaire de Ji-hlava. Ce film est selon lui le dernier à plus d’un titre, puisqu’il entend quitter le documentaire pour revenir à la fiction.

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Cineuropa : Cela faisait 14 ans que vous n’aviez pas fait de documentaire. Pourquoi ?
Marek Kuboš : Après une pause de 14 ans, j'ai commencé le tournage de The Last Self-Portrait. J’ai travaillé sur quelques autres projets entre temps. L'un n'a rien donné, un autre a capoté : rien n'a marché comme prévu, et ce schéma s’est répété pour chacun de mes projets. Mon dictaphone à la main, j’abordais des gens qui pouvaient potentiellement m’intéresser, et qui étaient d’accord pour me parler. Puis quand je revenais les voir avec une caméra, ils ne l’étaient plus. Dans les années 1990, les gens parlaient volontiers, que ce soit sur un dictaphone ou face à la caméra. Aujourd’hui, plus personne ou presque n'accepte d’être filmé, ne serait-ce que pour parler de leur travail, par exemple. Seuls les plus extravertis sont disposés à le faire, or ceux-là ne m’intéressent pas. Je préfère les gens timides, réservés et sensibles aux exhibitionnistes qui, de nos jours, inondent les émissions de téléréalité. 

Quelle intention anime The Last Self-Portrait ?
C’est avant tout une réponse à la question : “Pourquoi une si longue absence de l'univers du documentaire d’auteur”. Au fil des ans, d’autres questions moins importantes ont surgi, des questions que je me suis posées et que j’ai également soumises à mes pairs. Je ne fais que poser des questions, peu importe que je trouve la réponse ou pas. J’interroge les gens et j’observe leurs réactions. C’est cela mon rôle. Comme mon réalisateur préféré, Krzysztof Kieślowski, l’a dit un jour : “Mon rôle n’est pas de savoir”. 

Donc pour vous, la crise qui touche le genre documentaire ne tient pas à des questions de format des films, mais à la réticence des gens à être filmés ? ne réside pas dans le format des films mais bien dans la réticence des gens à être filmés ?
C’est ça. Quand j’étais en tournée pour présenter The Last Self-Portrait, les gens voulaient connaître les raisons pour lesquelles je n’avais pas terminé le film dont je parlais dans mon précédent documentaire. Ils voulaient savoir pourquoi je ne l’avais pas fini sans les victimes de l’arnaque. Mais ce genre de documentaire ne m’attire pas. Je ne veux pas faire de documentaires sans êtres humains. Je veux approfondir les sujets, ce qui est impossible sans êtres humains. Ces derniers temps, un grand nombre de films dits documentaires sont en fait des films de fiction. Les réalisateurs dirigent les protagonistes pour les amener à faire des choses qu’ils ne font pas en temps normal, ce qui, à mes yeux, est un mensonge. Je refuse de faire la même chose. 

Dans les années 1990, quand les festivals auxquels je participais me menaient aux quatre coins du monde, les gens venaient me voir et m'interrogeaient sur la manière dont je m'y prenais pour faire mes documentaires. Je leur répondais que je venais avec ma caméra et que je filmais les gens. La réponse était la même quel que soit le continent sur lequel je me trouvais : “ Ici, ce n'est pas possible”. À l'époque, je ne comprenais pas ce que cela voulait dire. Au tout début, The Last Self-Portrait devait s'appeler This Is Not Possible Here, pour reprendre cette réponse. Pendant le tournage, j'ai beaucoup scruté en moi-même et je me suis dit qu'une des clefs du film serait la suivante : si les gens voulaient éviter la caméra, c'est moi qui allais me confier à eux. J'ai en quelque sorte inversé les rôles. Si tout le monde faisait ça, cela permettrait de créer la situation idéale pour les documentaires. Je ne l'ai fait qu'une fois, pour faire dignement mes adieux à la réalisation de documentaires. Dans le scénario, je devais dire “J'en ai fini avec les documentaires”, mais j'ai remplacé cette phrase par "J'abandonne la réalisation de documentaires en me laissant la possibilité d'y revenir”. 

La majorité des documentaristes slovaques actuels se retrouvent dans votre film. Comment avez-vous réussi à les amener à répondre à vos questions ?
Nous nous connaissons très bien, au sein de la "Génération 90", et j'admire leur travail. Ils ont parlé ouvertement et très honnêtement. Leurs propos à mon égard m'ont d'ailleurs ému aux larmes, tout comme l'idée qu'ils ont du documentaire, car ce sont des gens très intelligents et intuitifs. Ces échanges ont été un véritable plaisir.

Marek Kubos en a donc fini avec les documentaires ?
Quand, en 1995, j'ai reçu le premier prix pour A Photographer’s Journey à Trenčianske Teplice, j'ai déclaré dans ma toute première interview que je voulais faire six films de fiction. C'est donc à cela que je vais me consacrer maintenant.

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(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)

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