Marco Bellocchio • Réalisateur du Traître
"Buscetta n’est pas un héros"
par Fabien Lemercier
- CANNES 2019 : Le cinéaste italien Marco Bellocchio parle de son nouveau film Le Traître, dévoilé et apprécié en compétition à Cannes
Le cinéaste italien Marco Bellocchio, entouré de son équipe menée par son excellent interprète principal Pierfrancesco Favino, a discuté avec la presse internationale de son nouveau film, le très bon Le Traître [+lire aussi :
critique
bande-annonce
Q&A : Marco Bellocchio
fiche film], en compétition au 72e Festival de Cannes.
Pourquoi avoir donné au film ce titre, Le Traître, qui semble adopter le point de vue des mafieux de Cosa Nostra ?
Marco Bellocchio : Le personnage principal, est effectivement un traître du point de vue de Cosa Nostra, du point de vue des traditions mafieuses, du point de vue du passé, et aussi du point de vue de la famille à laquelle il appartient. Pour Buscetta, trahir est un choix extrêmement douloureux, mais c’est en même temps le refus d’un certain type de Mafia qui a fait des choix qu’il ne partage pas. Mais Buscetta n’est pas un héros, c’est un être humain courageux, qui veut sauver sa peau et celle de sa famille, et également un conservateur car il a la nostalgie du type de Mafia qui l’a vu grandir, qui l’a baptisé pour ainsi dire. Il ne relève donc pas de ce genre de traîtres révolutionnaires qui trahissent leur passé pour changer le monde.
Quels sont vos souvenirs personnels du moment où Buscetta a commencé à parler au juge Falcone ?
Je m’en souviens très bien. Les journaux ont commencé à parler de cet homme qui arrivait mystérieusement du Brésil. On le découvrait totalement. On savait juste qu’il appartenait à un certain courant de Mafia, qu’il avait tué pas mal de monde et d’un seul coup, le voilà débarquant de l’avion, et cela faisait les gros titres. Mais on était au courant de bien peu de choses sur lui. Le poids et la valeur précieuse de la trahison de Buscetta, on ne l’a compris qu’au fil du temps, avec le juge Falcone, ce qui a débouché sur ce maxi-procès qui a représenté une victoire partielle de l’État sur la Mafia. La Mafia n’a pas été totalement vaincue contrairement a ce qui a été dit à l’époque, mais cela a quand même été une défaite pour elle.
Votre perception initiale du personnage de Buscetta a-t-elle évolué avec le film ?
Si j’ai été attiré par ce personnage, c’est parce qu’il est fascinant. Non à cause de son ambiguïté, mais parce que tous ceux qui l’ont connu évoquent un homme au caractère très fort, avec une identité très solide, mais également un homme ignorant et peu cultivé qui avait néanmoins parfaitement conscience de cette ignorance. Vers la fin du film, lorsque Buscetta est affaibli par l’âge et la maladie, qu’il vit dans la solitude avec sa famille, qu’il n’a plus le juge Falcone à ses côtés, Pierfrancesco Favino qui interprète magnifiquement le personnage dit : "je présente mes excuses car j’ai trop peu de culture". C’est le seul moment où Buscetta exprime une faiblesse, sinon le reste du temps, c’est un homme empreint d’orgueil. Il a aussi un principe qui ne manque pas de noblesse à mes yeux : il ne veut pas mourir en étant tué, il veut survivre. C’est une personnalité théâtrale, doté d’un caractère très construit. Il se présente d’ailleurs au maxi-procès un peu comme un ténor dans un théâtre. C’est cela qui m’a fasciné le plus et qui m’a poussé à réaliser ce film. A un moment, j’avais même un peu trop d’empathie pour ce personnage, il m’était un peu trop sympathique, donc j’ai remis les pendules à l’heure à la fin du film.
Est-ce que des films de gangsters vous ont influencé pour Le Traître ?
l est clair que nous avons tous vu des chefs-d’œuvre sur la Mafia, Le Parrain par exemple, mais aussi des films italiens. Cela aurait été néanmoins une erreur de vouloir à tout prix essayer de faire quelque chose de différent. Donc, avec tous les artistes qui ont participé à la création du film, nous avons travaillé avec beaucoup de liberté afin d’essayer de trouver notre propre voix, mais sans avoir peur de tenter du nouveau ni de refaire ce qui avait déjà été fait.