Basil Da Cunha • Réalisateur de O fim do mundo
"Je ne suis pas arrivé à Reboleira en disant ‘je suis un réalisateur’. On m’a avant tout accepté et respecté en tant que personne"
par Muriel Del Don
- Le réalisateur suisse et portugais Basil Da Cunha nous parle de son dernier film O fim do mundo, projeté en compétition à Locarno
Avec son dernier film O fim do mundo [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Basil Da Cunha
fiche film], unique production suisse en Compétition Internationale au Locarno Festival, Basil Da Cunha nous guide dans le quartier de Reboleira, à la périphérie de Lisbonne. Le quotidien des personnes/personnages qui habitent cet endroit oublié est filmé avec respect et élégance formelle dans un souci constant de vérité. Da Cunha nous a parlé avec passion du lien qui l’unit à ses personnages et de sa personnelle vision du cinéma.
Cineuropa : Le quartier de Reboleira est au cœur de vos films. Pourquoi avez-vous choisi ce lieu? En quoi influence-t-il votre travail ?
Basil Da Cunha : Je n’ai pas vraiment choisi de tourner mes films dans ce quartier. Quand j’ai déménagé là-bas je ne l’ai pas fait en tant que réalisateur, pour y tourner des films. J’ai toujours fait des films avec les gens qui m’entourent : des amis, de la famille ou des gens du quartier où j’habite. Déjà en Suisse je tournais avec les gens de mon quartier, toujours avec cette idée en tête de mettre en lumière des gens qui ne l’étaient pas, des gens que je n’avais pas l’habitude de voir au cinéma. Cette idée m’a suivi jusqu’à Reboleira. J’ai décidé de filmer les portugais que je côtoyais tous les jours, des amis que je trouvais incroyable. Mon idée était de créer des histoires pour eux en les inscrivant ainsi dans l’histoire du cinéma. Je leur donne de la visibilité à travers le cinéma. Quand je suis arrivé à Reboleira j’ai rencontré des gens qui sont par la suite devenus des amis et tout naturellement on a commencé à faire des films ensemble. Il y en a qui sont devenus aussi mes collaborateurs, mes complices de mise en scène.
Dans vos films vous travaillez toujours avec des acteurs non professionnels, souvent des habitants mêmes de Reboleira. Comment avez-vous gagné leur confiance et comment travaillez-vous avec eux ?
Je ne suis pas arrivé à Reboleira en disant "je suis un réalisateur". On m’a avant tout accepté et respecté en tant que personne. Au début on était très peu, une quinzaine, et les gens du quartier nous regardaient d’une façon un peu circonspecte. Ensuite, mon premier film Le poisson lune a été montré à Cannes et ils se sont dit que c’était incroyable que Reboleira "existe" au-delà des frontières du quartier, que leurs histoires soient racontées. Ils ont commencé à croire en mes projets. Les tournages sont toujours des moments assez joyeux, bordéliques où la matière filmée est plus forte que la réalité du film. On est une petite équipe, ça reste intime, direct et ancré dans la réalité du lieu.
Au fil des années je commence à comprendre et à connaitre extrêmement bien les gens que je filme. J’écris pour eux, mon écriture leur est tributaire. Je me nourris de leur réalité mais au même temps j’y amène de la fiction. Le récit est composé d’un paquet de scènes fictionnelles qui respectent quand même la réalité des personnes filmées. C’est des gens qui jouent tout en mettant en scène leur vie, leur quotidien. Les scènes sont écrites, il y a un scénario très précis mais personne ne doit le lire. Les acteurs vivent devant tes yeux quelque chose de spontané et ne sont pas tout le temps en train de réfléchir à l’effet qu’ils veulent provoquer.
Pour le personnage de Spira ça a été un peu différent. Son rôle est un vrai rôle de composition. Il me fallait un personnage qui dépasse un petit peu son propre personnage et qui dise quelque chose de son époque, un personnage qui ait déjà perdu son innocence. Pour ce qui est des acteurs ce qui compte c’est la "croyance". Quand je suis convaincu qu’un mec est le meilleur acteur du monde pour ce rôle, je crois qu’il le voit dans mes yeux. A mon tour je vois dans ses yeux qu’il croit en moi.
Dans O fim do mundo la misère se transforme en poésie, en beauté cruelle, un peu comme dans les films de Pasolini. Quels sont vos références, les réalisateurs qui vous inspirent ?
Je considère les réalisateurs italiens d’après-guerre comme mes frères d’humanité. C’est dans leurs films que j’ai vu pour la première fois des gens qui ressemblaient à ceux que je connaissais. J’ai beaucoup de mal avec le cinéma qui manque d’humanité, de texture. Dans la fiction tu peux sublimer la réalité, offrir des histoires à ces personnes qui deviennent des personnages, c’est beau comme processus. Ce que je veux c’est dépasser la réalité avec leurs histoires. Dans mes films il y a des gens qui jouent vraiment leur rôle et il y en a d’autres qui ont besoin davantage de distanciation par rapport à ce qu’ils ont vécu. Dans le cas de Spira, c’est un personnage qui a passé huit ans dans un internat…ce n’est pas rien ! Il est le produit de son époque, des institutions qui punissent à la place d’éduquer. Dans la réalité ce n’est pas Michael Spencer, l’acteur qui joue Spira, qui a vécu ça mais une autre personne.
Il y a des choses qui sont trop difficiles à faire jouer à la personne même qui les a vécues. C’est trop intime, il faut du respect et de la pudeur. En tant que réalisateur tu ne peux pas juste utiliser les choses. Il faut trouver une façon éthique de procéder. Pour le personnage de Spira, ce qui était important c’était de faire ressortir ce sentiment de résistance face à la modernité. Je voulais mettre en scène cette nouvelle génération qui prend le pouvoir dans le quartier, la fin d’un cycle, d’un monde.
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