Susanna Nicchiarelli • Réalisatrice de Miss Marx
“Ce film parle du privé et du public”
par Marta Bałaga
- VENISE 2020 : Nous avons interrogé Susanna Nicchiarelli, la réalisatrice de Miss Marx, sur son portrait de la fille cadette du célèbre penseur, projeté en compétition
Miss Marx [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Susanna Nicchiarelli
fiche film], présenté en compétition à la Mostra de Venise, met en scène la fille cadette du célèbre penseur essayant de se battre pour ses convictions, mais aussi pour sa relation avec Edward Aveling (Patrick Kennedy), le tout accompagné de chansons punk à plein volume. Nous avons discuté avec la réalisatrice, Susanna Nicchiarelli.
Cineuropa : Romola Garai a dit qu'en découvrant Eleanor, elle vous découvrait aussi vous.
Susanna Nicchiarelli : Je faisais la même chose avec elle ! C’était un triangle : Eleanor Marx, elle et moi. Nous essayions toutes les deux de comprendre ce qui, dans cette histoire, résonnait en nous, ce que cela nous faisait ressentir, ce que cela communiquait. En cherchant cela, nous communiquions entre nous.
Avec Nico, 1988 [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Susanna Nicchiarelli
fiche film], déjà, vous proposiez un biopic qui donnait l’impression d'être très personnel. Pourquoi aimez-vous tant ce format ?
J’aime travailler sur une personne qui a existé. Il y a la recherche, le fait de parler du passé et de l’héritage de ce passé, la manière dont on l'imagine. J’aime jouer avec les clichés de certaines histoires, et puis en faire un vrai matériel, brut. On travaille à de nombreux niveaux différents quand on fait un film comme ça. Nico et Eleanor étaient des femmes très fortes. Il y a, bien sûr, un côté mélancolique dans leurs vies, car toutes les deux étaient, d’une certaine manière, autodestructrices – Eleanor s'est suicidées, Nico était tout le temps droguée –, mais il est intéressant de voir à quel point ces deux choses vont ensemble.
Il y a quelque chose de très tragique dans l'idée qu'elle était une combattante, mais qu'elle se comportait si différemment dans sa vie privée. De nombreuses femmes qui sont professionnellement dans des positions de pouvoir vivent encore ce genre de situation.
Je pense ça arrive aussi à beaucoup d’hommes. La manière dont on se comporte en public n’est pas la manière dont on se comporte en privé. Ces deux aspects se heurtent l'un à l’autre : c'est la relation entre raison et sensibilité, entre ce qui est rationnel et ce qui est émotionnel. C’est aussi pour cela que j’ai choisi de raconter l’histoire d’Eleanor.
C'était une très bonne communicante, très charismatique, mais en lisant ses lettres, je ne l’imagine pas chez elle à crier ou avoir de grosses disputes avec Edward. Leur vie se déroulait normalement, avec beaucoup de non-dits. Peut-être qu’ils se sont disputés, mais nous ne savons rien d'eux, donc j'ai laissé cela en dehors de l'écran. Quand on parle d’une vraie personne, on doit beaucoup de respect aux vies qu’on raconte. Il faut laisser certaines choses de côté.
Dans le film, la seule fois où elle aborde ses problèmes de couple, c’est quand elle cite La maison de poupée. Elle utilise les mots de quelqu’un d’autre, pas les siens.
Elle croyait dans le pouvoir libérateur de la littérature et du théâtre, et dans l'art en général. Je pense qu’il y avait quelque chose de très charmant chez Edward, dans la manière dont Patrick l'a joué. Il pouvait être charmant et puis, en même temps, perturbant. Elle a dû tomber amoureuse de lui parce qu’il était si vivant, peut-être même qu'elle est tombée amoureuse de sa superficialité ? Il y a cette scène où elle le compare à un enfant.
"Il ne se fait pas de souci."
J'ai repris ça d'une de ses lettres. C’est une image très puissante : il ne se fait pas de souci. Pour elle, la vie était beaucoup plus lourde, plus difficile.
Les figures historiques peuvent être vues très respectables parfois, mais vous avez décidé d’utiliser des musiques punk pas si respectables que ça. On a l’impression que ces chansons expriment ce qu’elle ne peut pas exprimer.
Peut-être, mais elles expriment aussi le pouvoir de ses idées, qui sont très transgressives, même aujourd’hui. Il est toujours intéressant de surprendre le public de cette manière, de faire des choses auxquelles les spectateurs ne sont pas tout à fait habitués. Peut-être que ça les sort du film et après ils doivent se remettre dedans, mais ça déclenche une pensée critique. Je pense qu’on peut jouer avec les émotions de cette manière.
Et ce dès le titre, Miss Marx. Pensez-vous qu’elle a essayé d’échapper à son nom et à son père ?
Pas du tout. Elle a toujours été très fière de lui. Elle était marxiste et comme tous les marxistes, elle croyait dans ces théories. Mais pas parce qu’il était son père. Ce qu’elle voulait faire, c’était mener ses propres luttes, et son père était une limitation pour elle dans la sphère privée. Il lui demandait toujours de s’occuper des enfants de ses sœurs, des choses comme ça. Mais bien sûr, c'est de cela que parle ce film : du privé et du public. En public, elle était très forte et aimait affirmer ses idées, mais en privé, beaucoup de choses la limitaient.
(Traduit de l'anglais)
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.