Gregory Kershaw et Michael Dweck • Réalisateurs de The Truffle Hunters
“Un chasseur de truffes ne dirait jamais à un autre chasseur de truffes qu’il en a trouvé une”
par Marta Bałaga
- Nous avons discuté avec Gregory Kershaw et Michael Dweck, le duo auquel on doit un des grands délices filmiques de cette année, The Truffle Hunters
Célébrant sa présentation à la section Gala Premieres du Festival du film de Zurich, le documentaire The Truffle Hunters [+lire aussi :
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fiche film] explore l’univers mystérieux du champignon le plus prestigieux au monde, et les personnes qui se cachent derrière. Sans oublier leurs chiens adorés. Nous avons discuté avec les réalisateurs Michael Dweck et Gregory Kershaw.
Cineuropa : L’univers des chasseurs de truffes est tellement étrange. Combien de temps leur a-t-il fallu pour se sentir à l’aise avec vous ? Suffisamment pour continuer ces longues conversations avec leurs chiens par exemple ?
Michael Dweck : Nous avons trouvé ce village en août 2017 et lorsque nous avons posé des questions sur les chasseurs de truffes, personne ne savait qui ils étaient. “Ils vivent dans les montagnes et lorsque nous voulons des truffes, nous déposons de l’argent dans une boîte en bois et le matin suivant, les truffes sont là.” Nous pensions qu’il nous faudrait un mois, cela a pris un an. Ils affirmaient : “Nous ne sommes pas des chasseurs de truffe, mais qu’est-ce que vous racontez ?” Ce à quoi nous répondions : “Le prêtre nous a dit que vous l’étiez ! Allons, c’est le prêtre !” Un cap a été franchi la nuit où nous étions avec un chasseur de truffe. Ces gars-là parcourent 15 à 20 km à pied dans le froid et l’obscurité. Nous sommes revenus des bois épuisés, mais pas lui. Il a 86 ans. Il nous a emmenés dans sa cabane, a cassé des œufs et a coupé quelques lamelles de truffe. Il a ensuite dit à tout le village que nous étions des gens bien.
On dirait The Blair Witch Project, vous dans la forêt à la recherche de ces créatures quasiment mythiques !
Gregory Kershaw : C’est un peu ça, croyez-moi ! Nous avons commencé à voir ces choses fantastiques qui étaient aussi familières pour eux qu’étranges pour nous. Notre façon de filmer a mis tout le monde à l’aise. Nous voulions passer du temps avec eux. Nous souhaitions que le spectateur voie ce monde de notre point de vue très personnel. Comment faire pour montrer ce que l’on ressent dans cet endroit ? Comment rendre à l’écran le goût d’une truffe ? C’est la raison pour laquelle vous voyez si souvent deux personnes à table. Elles dînent, nous installons la caméra et la laissons tourner.
Il serait facile de les admirer, car ils vivent près de la nature, proches des anciennes traditions. Mais ça les rend également plus vulnérables, ils peuvent être exploités. Comme l’affirme l’un d’entre eux : “Je n’ai aucun moyen de savoir ce qu’est un prix équitable.”
M.D. : Ils savaient ce que nous faisions. Nous allions de village en village, à la recherche d’un chien truffier, une femelle gravide, ce qui n’est pas facile à trouver. Alors que nous prenions un café dans une ville, quelqu’un a dit : “C’est vous qui cherchez une femelle pleine ? Voilà son numéro, il vous attend. Son chien va mettre bas dans deux jours.” Tout le monde savait ce que nous faisions. Les chasseurs de truffes restent dans leur village, mais ils sortent prendre un café ou un verre de vin, ils vont lire le journal ou discuter des derniers potins. Et, comme nous l’avons appris, les chasseurs de truffe se mentent. Ils ne diraient jamais à un autre chasseur de truffes qu’ils en ont trouvé une. Jamais ! Les premiers que nous avons rencontrés se connaissent depuis 81 ans. “Vous êtes tous les deux chasseurs de truffes ?” “Oui.” “Avez-vous déjà partagé quelque chose ?” “Non”. En revanche ils tiennent des journaux, depuis des générations, dans lesquels ils consignent le lieu de leurs cueillettes. Ils y notent aussi des informations sur le taux d’humidité, la température ce jour-là, et la dernière fois que la foudre est tombée.
G.K. : Il y a ce point d’intersection entre l’endroit d’où proviennent les truffes et l’endroit où elles finissent par atterrir. Ce contraste est tellement intéressant. Il y a une forme de capitalisme, et on pourrait même dire, d’exploitation des chasseurs de truffes, qui ne gagnent pas beaucoup d’argent alors que leurs truffes se vendent des milliers de dollars. Mais il y a une certaine excitation. C’est un jeu. Il y a de l’argent à faire, mais ce n’est pas ce qui les motive. C’est peut-être comme faire un film indépendant ?
Avec la communauté du cinéma indépendant, c’est la même chose. Personne ne vous dira combien le film s’est vendu. Vous ont-ils donné la raison pour laquelle il n’y a pas de femmes chasseuses de truffes ?
M.D. : Il existe une jeune génération de femmes. L’une d’entre elles a, cette année-là, trouvé la plus grosse truffe. Ils nous ont dit que les femmes n’étaient pas à l’aise à l’idée de passer la nuit dans les bois avec des hommes. Et aussi que ce qui les passionne, c’est la cueillette des cèpes ! Ou celle des fleurs de safran. L’une d’entre elles a déclaré que sa belle-mère avait “jeté un sort à son mari pour qu’il ait de gros doigts boudinés”. Il ne pouvait pas faire le boulot.
(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)
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