SUNDANCE 2021 Compétition World Cinema Dramatic
Jakub Piątek • Réalisateur de Prime Time
“On se référait souvent à la valise dans Pulp Fiction : on ne sait pas non plus ce qui est dedans”
par Marta Bałaga
- Entretien avec le réalisateur polonais sur son premier long-métrage, une histoire de piratage dans un studio de télévision
Alors que le monde se prépare à entrer dans le nouveau millénaire, Sebastian (Bartosz Bielenia) pirate un studio de télévision, faisant deux otages : une présentatrice connue et un agent de sécurité. Son plan est simple : il veut faire passer son message aux téléspectateurs. Mais d’abord, il va falloir que quelqu’un accepte la nouvelle grille des programmes. Voici l’intrigue du premier long-métrage de Jakub Piątek, Prime Time [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Jakub Piątek
fiche film], projeté à Sundance.
Cineuropa : De nombreuses personnes se souviendront de la Saint-Sylvestre 1999 et des attentes qu'on avait alors, comme si on espérait l'avènement d'un nouveau monde meilleur. Vous montrez aussi ces réactions, sous forme d'images défilant sur les écrans.
Jakub Piątek : J’avais 15 ans à l’époque, donc c'était le premier réveillon dont je ne me souviendrais peut-être pas tout à fait [rires]. Quand nous avons parcouru les archives, ce qui m'a plu, c'est qu'on a vraiment mis le paquet : les plus grandes stars se sont produites sur scène, Jean-Paul II allait bénir tous ces gens saouls, c’était totalement absurde. Ma mère est allée à la banque pour avoir une preuve de la somme qui se trouvait à ce moment-là dans son compte, par peur du "bug" du millénium. On y croyait vraiment ! J’aimais bien l'idée de cette énorme fête qui se passait quelque part en dehors de notre "boîte" cathodique.
Exactement. Une foule de choses se passent ce soir-là, partout sauf dans ce studio. Quand on entend parler du film pour la première fois, on pourrait s’attendre à un genre de Network, main basse sur la télévision de Lumet. Mais c'est plutôt sur le genre En attendant Godot que vous avez misé... enfin, en attendant le président.
Pendant que je développais ce film, je me heurtais souvent à des résistances qu'on pourrait résumer ainsi : "Mais il ne dit rien !". Maintenant, en lisant les premières critiques, je vois que ça fonctionne pour certains et que pour d'autres, c’est le plus grand défaut du film. On se référait souvent à la valise dans Pulp Fiction : on ne sait pas non plus ce qui est dedans, et pourtant tout fonctionne. On a étudié des histoires similaires survenues dans différents pays, ainsi qu'en Pologne : personne ne sait quelle était la motivation du type. C’est quelque chose que je voulais garder dans le film, même si notre histoire est très différente. Au début, nous voulions ajouter un quasi-reportage avec plusieurs personnes, dont sa mère, parlant de Sebastian. C’est la première chose que nous avons coupé. Quant à l'élément d'attente, on a organisé le film comme une course de relais : une personne commence, puis passe le témoin au négociateur, puis au père de Sebastian, et ainsi de suite.
On pourrait voir cette situation comme le fruit d'une réaction typiquement polonaise face à une crise : "Je suis désolé, mais ça n'est pas de mon ressort". Dans un film américain, tout le monde voudrait probablement être un héros d'entrée de jeu, n’est-ce pas ?
Je me réjouis que vous disiez que c’est quelque chose d’intrinsèquement polonais, parce que ces gens ne sont pas formés comme leurs collègues américains. Nous avons consulté une série de gens en préparant le film. Nous avons notamment rencontré un commandant à la retraite, qui n'avait rien à voir avec un Denzel Washington prêt à prendre seul les choses en main. Il a dit : "Dans un cas comme celui-là, il faudrait passer tout un tas de coups de fil". Nos brigades antiterroristes ont toujours dû tout expliquer, ils ne pouvaient même pas se permettre d'utiliser des grenades assourdissantes, donc si quelqu’un accumulait de la pression sur eux comme ça, ils choisiraient plutôt de rentrer chez eux pour célébrer le réveillon du Nouvel An et manger de la salade de hareng. Ceci étant dit, il y a quelques jours, j’ai été contacté par le négociateur qui était là quand c’est arrivé en vrai en Pologne. J’ai été tellement excité que j’ai appelé tous mes acteurs avant de le rappeler et il a dit : "Moi aussi : je viens d’appeler un ami qui était également présent".
Il eût été beaucoup plus facile pour Sebastian de faire passer son message au reste du monde s'il avait fait ça maintenant, puisqu'il semble que tout le monde aujourd'hui a sa "plateforme". Ça faisait longtemps qu’on n'avait pas vu quelqu’un d'aussi désespéré se tenir devant une caméra.
J’ai grandi en regardant la télévision, c’est comme ça que j’ai découvert le cinéma. Maintenant, la première chose qu’on voit sur Facebook est cette question : "qu’est-ce que vous êtes en train de penser ?". On veut tout partager tout de suite. À l’époque, il y avait une certaine hiérarchie, et la télévision était le Mont Olympe. Si vous y étiez, ça veut dire que vous étiez quelqu'un d'important. Nous avons rencontré de nombreuses personnalités de la télévision, et une présentatrice célèbre nous a dit que quand elle entrait dans un magasin, tout le monde se mettait à la fixer et à parler de son apparence comme si elle n’était pas là. Elle n’était pas humaine : c’était quelqu’un que ces gens voyaient à la télé.
(Traduit de l'anglais)
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.