Yngvild Sve Flikke • Réalisatrice de Ninjababy
“Je voulais raconter l’histoire d’une jeune femme dotée d’un appétit sexuel que la plupart de mes amies avaient à vingt ans”
par Marta Bałaga
- BERLINALE 2021 : Dans son premier long-métrage, la réalisatrice norvégienne affronte les clichés sexistes et gagne la partie
Dans Ninjababy [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Kristine Kujath Thorp
interview : Yngvild Sve Flikke
fiche film], présenté en avant-première dans la section Generation 14plus de la Berlinale cette année, Rakel (Kristine Kujath Thorp), lorsqu’elle s’aperçoit qu’elle est enceinte, n’est pas au bout de ses surprises : elle en est à son sixième mois et le délai légal pour avorter est dépassé. Avant de prendre une décision, elle se met à dessiner son "ninjababy sournois". Et il est plutôt du genre bavard.
Cineuropa : Chaque fois que je regarde un film où il est question de grossesse, la future mère croise le regard de son enfant et sa vie est transformée à jamais. Je suppose que Rakel ne croirait pas un mot de tout cela ?
Yngvild Sve Flikke : Je voulais aborder les questions que l’on se pose sur la maternité. Est-ce naturel pour tout le monde ou bien vivons-nous chacune cette maternité différemment ? Dans tout ce que je fais, j’aime remettre en question les limites du genre. Peut-on vraiment affirmer que quelque chose est intrinsèquement "féminin" ou "masculin" ? Je ne crois pas.
J’ai travaillé avec Inga Sætre, auteure du roman graphique (Fallteknikk) dont le film est librement inspiré, et ma première idée était d’avoir ce mélange d’action réelle et d’animation. C’est de "l’animation émotionnelle", mais nous voulions également l’utiliser à des fins comiques, avec les dessins de tous ces gros zizis. Juste pour taper sur les nerfs de Rakel. J’ai ensuite fait deux saisons de la série Home Ground et j’ai rencontré le scénariste Johan Fasting. C’est lui qui a eu l’idée de "ninjababy" et il a développé les personnages masculins. Je voulais raconter l’histoire d’une jeune femme dotée d’un appétit sexuel que la plupart de mes amies avaient à vingt ans. Elle couche avec qui bon lui semble, elle est libre. Mais en cas de grossesse, les relations avec ces hommes changent. Pour eux et pour vous.
Elle n’est pas montrée du doigt dans le film. En effet, il est bien question de trois pères potentiels. Son amie s’exclame d’ailleurs : "c’est comme dans Mamma Mia ! ", mais sans porter de jugement pour autant.
Vous êtes en Pologne et je sais que l’avortement est un problème là-bas, mais je ne voulais pas que ce soit un film sur ce sujet. Je voulais qu’elle n’ait pas le choix, je ne voulais pas avoir cette scène où elle doit prendre cette décision. C’est également parce que pour moi, c’est évident. Je suis mère de deux enfants, mais je me battrai jusqu’au bout pour que ce droit à l’avortement existe.
Inga et moi nous voulions développer la façon dont les femmes sont présentées au cinéma. Il ne fallait donc pas qu’elle soit montrée du doigt ou qu’elle hésite. Elle sent qu’elle n’est pas faite pour être mère, mais elle assume pleinement sa façon de vivre ou le fait que son appartement soit sale. Si elle n’a pas envie de prendre une douche, elle n’en prend pas. Nous parlons beaucoup de la pression que nous nous imposons, de la pression que la société nous impose. Les filles doivent apprendre à ne pas trop plaire aux autres, elles doivent se plaire à elles-mêmes aussi.
Rakel est tellement bien dans sa peau que ça en est presque choquant. Dans les comédies romantiques, au mieux, vous pouvez avoir ce que Mindy Kaling appelle une "empotée" : une femme belle, mais maladroite, "comme un buffle ivre qui n’a jamais fait partie de la société humaine".
Dans mon précédent film, je dressais le portrait de trois femmes : l’une d’une vingtaine d’années, l’autre d’une bonne trentaine et la dernière d’une soixantaine d’années. Je me suis vraiment attachée à la plus âgée des trois : elle se moquait du regard des autres. C’est de ça que nous avons plus besoin quand nous sommes jeunes, aussi il ne faut pas regretter ses erreurs ! Je veux dire que vous les regretterez, oui, mais inutile de le montrer. Rakel n’est ni maladroite ni naïve. Elle ne sait pas ce qu’elle veut faire de sa vie, mais je voulais tout de même que les gens la voient pour ce qu’elle fait et non pour ce qu’elle semble être, même si Kristine, en dépit des cheveux gras de Rakel, est merveilleuse. C’est ce que j’essaie, en vain, d’enseigner à mes enfants. Aujourd’hui, seules les apparences comptent pour eux (rires).
Certains de ses échanges avec Ninjababy sont assez brutaux, voire vulgaires. Jusqu’où vouliez-vous aller ?
Kristine prétend qu’elle s’est mise à jurer énormément après avoir fait le film. Lorsque Rakel se sent prise au piège, elle devient agressive. Elle lutte. Je pense que les femmes ne sont pas censées être "grossières". Si je le suis, les gens réagissent. Lorsque c’est un homme qui le fait, tout va bien. Mais lorsque les filles sont entre elles, elles peuvent être franches et directes. Rakel dit des choses insensées, comme le fait que tous les garçons de 12 ans devraient subir une vasectomie. Quand vous avez une super amie, vous pouvez dire ce genre de choses à voix haute.
(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.