Tuija Halttunen • Réalisatrice de How to Kill a Cloud
"Les nuages sont comme des personnages et ils représentent quelque chose qui va au-delà de l’entendement humain"
par Kaleem Aftab
- La réalisatrice finlandaise souligne pour nous que son film parle davantage d’éthique que de science
Entretien avec la réalisatrice finlandaise Tuija Halttunen sur How To Kill A Cloud [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Tuija Halttunen
fiche film], un documentaire qui montre les recherches des scientifiques pour contrôler les nuages aux Émirats arabes unis, en compétition à CPH:DOX.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les origines de How To Kill A Cloud ?
Il y a une dizaine d'années, j'ai lu un livre sur les nuages, alors je me suis dit que j'aimerais faire quelque chose à leur sujet, car je les trouve fascinants. Mais j'ai eu l'impression qu'il n'existait pas d'angle d'approche ou de point de vue qui convienne. Et puis, il y a environ quatre ans, j'ai entendu parler de cette scientifique finlandaise qui avait obtenu une bourse colossale des Émirats et immédiatement, j'ai pensé : "La voilà, l'histoire que je veux raconter".
À quoi a ressemblé votre première discussion avec Hannele Korhonen, la scientifique qui ensemence les nuages ?
Je suis allée la voir à son bureau. Nous avons déjeuné ensemble et discuté un certain temps. Au début, j'ai dit que je ne cherchais pas à faire un film scientifique, mais plutôt sur l'éthique, sur les gens qui jouent à Dieu ou qui essaient de contrôler la nature. Alors, elle a dit que ça lui convenait, mais elle ne voulait pas que sa vie privée fasse partie du film. C'est la seule chose qui m'a fait hésiter un peu : comment raconter cette histoire avec un véritable personnage principal, sans montrer sa vie privée. C'était un problème. Je me suis sentie tiraillée, mais je voulais vraiment raconter cette histoire.
How To Kill A Cloud est un titre assez agressif, pour ce sujet. Pourquoi avez-vous choisi d'utiliser "kill" (tuer, ndt.) au lieu de "seed" (ensemencer, ndt.) ?
Pourquoi je n'ai pas choisi "How To Seed A Cloud" ? Parce que ça aurait donné l'impression que c'est un film scientifique, ce qui n'est pas le cas. Ça aurait mené les attentes du public dans la mauvaise direction. Je n'ai jamais pensé que le titre était agressif, mais inconsciemment, je voulais sans doute faire des nuages ou de la nature un personnage du film en quelque sorte ; les nuages sont comme des personnages, et ils représentent quelque chose de plus grand que la compréhension humaine. C'est probablement ce que je voulais souligner avec ce titre, mais après coup, c'est toujours dur à dire. Pourquoi ? Parce que je suis une réalisatrice très intuitive, je ne me souviens pas toujours des raisons qui m'ont amenée à faire certains choix.
Contrôler les nuages, est-ce la mort de la nature ?
D'après moi, les nuages représentent le temps et l'Histoire. L'espérance de vie des humains est très courte quand on pense depuis combien de temps les nuages existent. Je souhaitais faire de la nature quelque chose de plus qu'une cible pour la science humaine, ou une ressource qui facilite nos vies. Je voulais que les gens réfléchissent à cet aspect aussi. J'ai le sentiment que nous autres humains faisons partie d'une plus grande entité formée par la nature qui nous entoure ; nous n'en sommes pas séparés. Quand Hannele a parlé de la durée de vie d'un nuage, j'ai vraiment pensé que je pouvais les présenter comme un personnage dans le film.
Le documentaire montre comment l'ensemencement de nuages a été employé comme une arme au Vietnam. Est-ce une grande peur ?
Pour je ne sais quelle raison, beaucoup de nouvelles inventions finissent par servir d'armes, et c'est une chose à laquelle on devrait réfléchir. Pendant le tournage, certaines personnes sont venues me voir, et m'ont dit que contrôler l'atmosphère était quelque chose d'aussi énorme que la fission nucléaire, parce que c'est une manière de contrôler le monde. Et ça m'a quelque peu inquiétée quant à ce qui pourrait arriver si la communauté internationale ne metttait pas en place des règles et des règlements, et ne vérifiait pas que les pays respectent ces règles.
(Traduit de l'anglais par Alexandre Rousset)
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