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KARLOVY VARY 2021 East of the West

Andrius Blaževičius • Réalisateur de Runner

“Quand on présentait le film à des décideurs de l’industrie du film, ils disaient : ‘Mais pourquoi elle court ? Ça n’a aucun sens’. Avaient-ils bien raison ?"

par 

- Le réalisateur lituanien est en lice dans la section East of the West de Karlovy Vary, mais quoiqu’il en soit, ne vous avisez pas de lui parler de Tom Tykwer

Andrius Blaževičius • Réalisateur de Runner
(© Brigita Beniušytė)

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bande-annonce
interview : Andrius Blaževičius
fiche film
]
le film d’Andrius Blaževičius présenté au Festival de Karlovy Vary, ce n’est pas un bon jour pour Marija (Zygimantė Elena Jakstaitė) qui vient de découvrir que son petit-ami a une nouvelle crise psychotique. Alors qu’elle se lance désespérément à la recherche d’un homme qui ne veut pas être trouvé, tout le monde remet ses choix en question. Et le téléphone ne cesse de sonner.

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Cineuropa : La première fois que j’ai entendu parler du film, j’ai demandé s’il avait un lien avec Run Lola Run. Vous avez dit que ce n’était pas le cas et je comprends maintenant pourquoi. À l’époque, je l’encourageais à courir pour le retrouver. Maintenant, je veux qu'elle s'arrête.
Andrius Blaževičius : Je ne veux jamais créer de personnages simples. Dans la vie, chaque fois que j’arrive à observer le monde qui m’entoure, tout semble très compliqué. Je voulais que Marija soit un personnage d’une complexité telle que certains voudraient la voir réussir et d'autres la jugeraient simplement stupide de chercher un petit ami qui ne veut pas être trouvé. Lorsque nous présentions le film à des décideurs de l’industrie cinématographique, agents ou programmateurs de festivals, ils se demandaient souvent pourquoi elle courait et prétendaient que ça n’avait aucun sens. Avaient-ils raison ? Peut-être qu’en Lituanie ou en Europe de l’Est, nous pensons encore qu’il faut faire tout ce que l’on peut pour l’être aimé. Prenez Dostoïevski. Tous ces fous dont l'amour l’est tout autant et pour lesquels on n'a aucune idée de ce qu'ils font.

Certains tendent certainement à penser que les femmes devraient être des martyres, qu’elles devraient se "sacrifier" pour leur partenaire ou leur famille, non ? Marija est si jeune, elle semble si rebelle et pourtant, elle agit comme ça.
En Lituanie, nous avons tendance à croire que lorsque les jeunes finiront par occuper des postes de pouvoir, tout changera dans notre pays. Et cette mentalité postsoviétique se transmet de génération en génération. Difficile de s'en débarrasser tout de suite. On peut donc voir cette anticonformiste avec des tatouages suivre des groupes patriarcaux. Ceux qui sont nés après l’an 2000 seront peut-être différents. Mais nous ? Il y a quelques jours, nous avons eu des manifestations antivaccins qui se sont soldées par des violences. Ce qui est rare en Lituanie, car nous sommes un peuple discret. Les gens protestaient essentiellement contre la science, et j’en parle parce que ce sont également des jeunes. L’habit ne fait pas le moine.

Aimer quelqu'un qui souffre de troubles mentaux peut être une épreuve. Il y a de bons et de mauvais jours, mais ici, nous ne voyons que les mauvais.
Je ne voulais pas montrer une situation typique où nous "apprenons à connaître les personnages", nous arrivons à comprendre les raisons pour lesquelles ils s’aiment et puis tout s’effondre. C’est d’un ennui ! Je sais que j’ai pris un risque et que certaines personnes risquent d’avoir du mal à adhérer à l’histoire. Mais je voulais que ce soit le public qui crée le passé de Marija, en se basant uniquement sur ses actes. On a néanmoins quelques informations (certains amis affirment que c'est un type bien), on sait qu'il a du talent et qu’il est intelligent. Je voulais que ce soit une énigme que le public allait devoir résoudre.

Et puis, je ne voulais pas non plus que l’on se concentre uniquement sur les problèmes de santé mentale. C’est pourquoi je ne les montre pas trop. Je voulais que l’on voie le sacrifice. Il s’agit ici de ma propre histoire, vous savez. Je l’ai vécu, à ceci près que la fille, c’était moi. J’étais Marija. Dans le film, la durée des crises est écourtée, mais dans la vraie vie, elles peuvent durer plusieurs jours. Vous ne voulez pas arrêter la personne en question et lorsque vous êtes dans cette situation, certains vous comprennent et d’autres pas. Et c’est vraiment extrêmement difficile.

Vous ne lui donnez que peu d’occasions de parler ouvertement de ce qu’il se passe. Pourquoi ?
En Lituanie, les troubles mentaux sont stigmatisés. Elle essaie toujours de cacher sa maladie pour ne pas ruiner sa carrière professionnelle. Il y a aussi la question de la honte. Il s'enfuit, sort avec d'autres filles, la frappe. Cette situation l’embarrasse. Cacher les choses est un comportement très lituanien. Comme Marij, les gens n’aiment pas montrer leurs faiblesses. Elle tente de le sauver, mais aussi de se sauver elle, et de préserver son image aux yeux de tous. Prenez sa mère à lui. La première fois qu’elle l’appelle, elle dit à Marija de ne plus le chercher, de s’occuper d’elle. Plus tard, lorsqu’elle le fait, elle s’exclame : "Putain, mais qu'est-ce que tu as fait ?" Je suppose que cela en dit long sur notre société, car c'est vraiment comme ça que ça se passe. J'en ai fait l'expérience, alors je sais de quoi je parle.

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(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)

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