MILLENNIUM DOCS AGAINST GRAVITY 2021
Jonas Poher Rasmussen • Réalisateur de Flee
“Mon intention n’était pas de raconter une histoire de réfugiés, mais de raconter une histoire sur mon ami”
par Marta Bałaga
- Nous avons interrogé le réalisateur danois Jonas Poher Rasmussen, dont le dernier film est devenu un des titres les plus appréciés de l’année, et le gagnant du festival Millennium Docs Against Gravity
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critique
bande-annonce
interview : Jonas Poher Rasmussen
fiche film] de Jonas Poher Rasmussen, élu meilleur film au festival Millennium Docs Against Gravity 2021 (lire l'article), se concentre sur le personnage d'Amin. Sur le point d’épouser l’homme qu’il aime, il est enfin prêt à parler de son passé de réfugié, ainsi que de son faible pour JCVD.
Cineuropa : De ce film se dégage une énergie étonnamment positive. Est-ce que c’était prévu ou est-ce que c'est apparu plus tard, à mesure que vous en appreniez davantage sur son histoire ?
Jonas Poher Rasmussen : Mon intention n’était pas de raconter une histoire de réfugiés, mais de raconter une histoire sur mon ami. C’est de là que vient le projet : de notre amitié. Nous nous amusons ensemble, nous nous connaissons assez bien. Il pouvait parler librement – et même m'avouer que Jean-Claude Vandamme le fait craquer.
Ça vaut pour tout le monde, ça, non ?!
Eh bien, je ne sais pas [rires] ! Je suppose que c'est mon cas aussi, mais de manière différente. Être un réfugié, c’est dur, mais sur ces cinq ans, il y a aussi eu des choses positives : il est tombé amoureux et il a vécu des choses merveilleuses avec sa famille. J’essaie toujours de rendre mes histoires humaines : si on ne montre que les aspects durs, les gens ne peut pas vraiment se rapporter au sujet. Le fait qu’on puisse aussi rire de certaines choses, ou le voir mentir à son petit copain, tous ces défauts, ça le rend plus humain. Prenez la scène où il est dans le jardin, en train de regarder une maison, ou plutôt, en train de regarder un chat pendant que son petit ami regarde les arbres. Ces détails nous disent quelque chose, et c’est pour cela que mon film n’est pas juste une histoire de réfugié. Il parle surtout du besoin de trouver sa place dans le monde, un endroit où on peut être soi-même.
Vous suivez ici quelqu’un qui ne partage pas nécessairement les choses, même avec la personne qu’il aime. En plus, parler à un ami c'est une chose, mais s’ouvrir publiquement, dans un film, c'est encore autre chose.
Je pense qu’il savait tout du long qu’il devrait raconter son histoire, à un moment ou à un autre. Ça a été dur pour lui, de mentir tout le temps, enfin peut-être pas de mentir, mais du moins de ne pas être complètement sincère. Il avait tendance à toujours rester à distance, principalement à cause de cette vérité non dite. Il savait qu’il fallait qu’il s’ouvre pour se débarrasser de ce poids. Comme je viens de la radio, il y a de nombreuses années déjà, je lui ai demandé si je pouvais faire un documentaire radiophonique sur son histoire. À l'époque, on se connaissait déjà depuis plus de dix ans, mais il a dit non, il a dit qu'il n’était pas prêt, mais il a précisé aussi qu’il aimerait tout me raconter un jour, quand il serait prêt. C’était une conversation ouverte sur la manière dont on peut se créer un espace de sécurité. À chaque instant, il pouvait s’arrêter et dire : "Attends, là je me suis mal exprimé".
Pensez-vous que l’idée d’animer le film l'a aidé ? Moi aussi je serais probablement plus à l'aise face à une version animée de moi-même.
C'est clair. Aussi, si ç'avait été son vrai visage, à l’écran, il se serait fait du souci par rapport au fait qu'à chaque rencontre avec de nouvelles personnes, ceux-là connaîtraient déjà tous ses secrets et ses traumatismes. Là, il continue de partir de zéro à chaque fois. L'animation était aussi un moyen d'invoquer le passé. L’animation permet d’être beaucoup plus expressif qu’on ne pourrait l'être uniquement avec une caméra.
Cette histoire est aussi une histoire de sexualité. Si on laisse de côté l'endroit d'où il vient, beaucoup de jeunes pourraient se reconnaître dans les difficultés auxquelles il a été confronté.
Les deux histoires sont vraiment liées l’une à l’autre. Le fait qu’il soit un réfugié et qu’il soit gay fait qu'il a toujours dû fuir quelque chose. Quand il était tout jeune en Afghanistan, être gay n’étant pas acceptable, il a dû le cacher. Au Danemark, il a occulté son passé. Ce film s’appelle "fuis" : il parle vraiment du fait de fuir qui on est plus qu’il ne relate un parcours concret. Je suppose que c’est en partie la raison pour laquelle les gens peuvent se rapporter à cette histoire. La plupart d’entre nous, à un moment ou à un autre de notre vie, essayons de comprendre où nous pouvons être juste nous, et ce que cela implique.
Il y a beaucoup de personnages qui vont et viennent dans le film, comme la fille dans le camion, qui est très mémorable. Quelle attention vouliez-vous accorder à chaque sous intrigue ?
Le personnage principal a toujourd été Amin, donc les histoires que nous avons gardées pour le film ont à voir avec des situations et des gens qui lui ont apporté quelque chose. La femme à l'arrière du camion russe, ou le gamin qu'il voit, sont des personnages qui l'ont vraiment façonné. Ils sont encore avec lui.
(Traduit de l'anglais)