Sylvie Ohayon • Réalisatrice de Haute couture
“Savoir faire quelque chose, c’est cela qui peut rendre une personne vraiment satisfaite d’elle-même”
par Vittoria Scarpa
- L’écrivaine et réalisatrice française a présenté son nouveau film ; nous avons saisi l’occasion pour parler avec elle de haute couture et de l’importance d’apprendre un métier
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fiche film], le deuxième long-métrage de l’écrivaine et réalisatrice française Sylvie Ohayon après Papa Was Not a Rolling Stone [+lire aussi :
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fiche film], raconte la rencontre entre Esther (Nathalie Baye), une première d'atelier au sein de la Maison Dior qui approche de la retraite, et Jade, une jeune femme à problèmes de la banlieue parisienne qu'Esther décide d'aider en lui apprenant un métier. Le film a été présenté au 12e Bif&st de Bari.
Cineuropa : Au vu du titre, Haute couture, on pourrait s’attendre à un film plus plus frivole. Au lieu de ça, c’est une comédie profonde qui parle de transmission, de la valeur du travail et de la manière dont les femmes peuvent s'aider entre elles.
Sylvie Ohayon : J’ai fait ce film principalement pour ma fille, Jade, avec laquelle j’ai eu une relation difficile, surtout quand elle était adolescente. Elle me repoussait, et moi je lui disais : "Jade, tu me rejettes comme mère, alors trouve-toi une autre figure féminine qui puisse t’aider à grandir et à devenir ce que tu veux être". Je voulais dire à ma fille que je veux qu’elle soit heureuse et qu’elle trouve quelqu’un qui l’aide à apprendre un métier, parce qu’un métier, ça te sauve la vie. C'est dans le film : "Tout le monde parle de travail, moi je veux te donner un métier". Savoir faire quelque chose, c’est ça qui peut rendre une personne vraiment épanouie.
Quand avez-vous décidé d’inscrire ce thème dans le monde de la haute couture ?
Il y a quelques années, j’ai accompagné une amie chez Chanel parce qu'on avait un drame à résoudre : elle allait se marier et elle était tombée enceinte quelques mois avant le mariage, de sorte qu'il fallait modifier sa robe de mariée pour cacher son gros ventre. Je me souviens qu’à un moment, la couturière est arrivée et elle a commencé à parler, avec un fort accent parisien (un peu à la Élise Piaf, pour dire), mais ensuite elle s’est mise à travailler et ses mains étaient magiques : j'ai été ébahie devant son habileté. Je me suis dit que j’aimerais transmettre ça dans un film. À ceci s'est ajouté mon problème avec ma fille : en réfléchissant au type de femme qui pourrait la rendre heureuse, j’ai imaginé cette femme, exactement. Pour le reste, je suis fière de mon pays et de son artisanat, tout comme j'aime l'Italie, je viens souvent : ce sont deux pays de la beauté. Pour ce qui est de la Maison Dior, ils ont été d’accord tout de suite pour développer ce travail, sans condition. Ils ont juste lu le scénario.
Le film décrit le travail dans les ateliers de manière très détaillée. Comment vous êtes-vous documentée ?
Il y a eu un gros travail de recherches. Je suis allée chez Chanel, chez Dior, j'ai parlé avec les couturières, je leur ai demandé de me raconter leur vie. J’ai demandé à Dior de me laisser entrer dans les ateliers et voir comment ils travaillent. Ce que j’ai demandé à ces femmes, c'est de ne pas me dire des choses qu’on peut trouver dans un livre ou dans un dictionnaire, mais de me donner des anecdotes, par exemple l'aiguille qu'on graisse pour qu'elle passe bien dans le tissu.
On a ici la banlieue d’un côté et la Maison Dior de l’autre. Comment avez-vous travaillé sur l’aspect visuel du film ?
L'idée était d’utiliser des couleurs chaudes quand la jeune fille est chez elle, dans la cité, et à l’inverse de rendre l’atelier plus froid et majestueux. Les vrais ateliers ne sont pas comme ça, les ateliers Dior sont comme une clinique, tout blancs, parce que la lumière doit se refléter. Mais moi je voulais un peu de Pompadour, de Haussmann, d'Histoire de la mode française, de sorte que j’ai reconstruit l’atelier à mon idée, comme si c’était un temple ou le Château de Versailles.
Comment avez-vous choisi les deux actrices principales ?
Au début, je pensais à Catherine Deneuve, et puis très vite j’ai pensé à Nathalie Baye, qui est une grande actrice. J'avais vu Lyna Khoudri dans Papicha [+lire aussi :
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fiche film] et elle m’avait plu, mais je n’étais pas convaincue par l’idée de choisir la classique beurette de la banlieue. Et puis je me suis dit : après tout, moi aussi je viens des quartiers populaires du nord de Paris, donc au fond, nous venons du même milieu, elle sait ce que ça veut dire, de vivre là-bas. Je n'ai pas fait d'essais traditionnels, mais en bonne Française, j’ai invité les personnes à dîner et nous avons discuté devant un bon repas.
Vous êtes principalement écrivaine, vous avez écrit six livres. Qu’est-ce qui vous a amenée à passer derrière la caméra ?
Mon premier livre, Papa Was Not a Rolling Stone, a eu beaucoup de succès : tout le monde voulait l’adapter au cinéma. Mon ami Sylvie Verheyde m’a dit : "Fais-le toi !". Je n'ai jamais étudié le cinéma, mais elle me dit : "Essaie de prendre une caméra et tourne les images que tu as en tête". Et c'est ainsi que j’ai fait ce premier film et j’ai adoré faire du cinéma, parce qu'il vous permet de réécrire l’Histoire, de réécrire le monde à travers les images, c’est magique. C’est un peu comme être Dieu : on décide de la vie des personnes.
(Traduit de l'italien)