Ernestas Jankauskas et Gabija Siurbytė • Réalisateur et comédienne de I Am Fine, Thanks
“Le perfectionnisme est la religion de notre temps”
par Marta Bałaga
- Nous avons discuté à une partie de l’équipe à laquelle on doit ce film lituanien, qui décrit une situation que l’actrice principale a elle-même vécue
C’est au Festival de Varsovie qu’I Am Fine, Thanks [+lire aussi :
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fiche film] a été présenté en avant-première. Dans ce film, qui s’inspire d’une expérience que Gabija Siurbytė a personnellement vécue, elle interprète Maria, une neuroscientifique qui fait de son mieux pour retrouver une vie normale après avoir été traitée pour des crises d’angoisse. Inutile de dire que ce n’est pas facile, surtout parce que Maria veut plaire à tout le monde, à l’exception d’elle-même. Nous avons rencontré Siurbytė et le réalisateur, Ernestas Jankauskas.
Cineuropa : Comment vouliez-vous montrer les crises de Maria ? Elles sont parfois si démentes, avec ces énormes canards en caoutchouc et ces gens qui ressemblent à des inquisiteurs espagnols.
Ernestas Jankauskas : En général, l’inspiration pour ces crises d’angoisse vient de la compréhension que l’on en a. Lorsqu’elles surviennent, certains ont l’impression d’être coincés dans un tunnel sans lumière, alors que d’autres affirment qu’ils ne peuvent plus respirer. C’est très personnel, et pour moi, c’était l’un des défis artistiques les plus grands importants du film. Je voulais aussi montrer le point de vue de notre société, le point de vue de ceux qui ne sont pas affectés par ce phénomène, parce que c’était également mon cas. Lorsque quelqu’un me disait qu’il allait mal, je lui répondais : "Inutile de paniquer, ce n’est pas grave."
Gabija Siurbytė : Pendant que Birutė (Kapustinskaitė) écrivait le scénario, je travaillais sur la structure et les idées et Ernestas, lui, devait combler le vide inhérent à ces moments de dépression. Les crises d’angoisse sont absurdes. Vous avez peur de mourir alors qu’il n’y a aucun véritable danger. Pourtant, pour la personne qui les vit, cela semble réel. J’en ai moi-même fait l’expérience.
Ce que vous dites de la réplique "inutile de paniquer" sonne vrai. Il y a encore quelque chose de stigmatisant dans ces crises d’angoisse.
E.J. : C’est un phénomène que l’on comprend mieux et dont on parle davantage, mais il s’agit également d’accepter que l’on puisse tout à fait ne pas être parfait. Lorsque vous traversez une épreuve de ce genre, vous vous dites que quelque chose ne va pas chez vous, que vous êtes faillible. Vous commencez à vous poser des questions. Se dire qu’il n’y a aucun mal à être comme on est s’avère très difficile.
G.S. : Les crises d’angoisse et l’anxiété affectent des gens solides. Pour eux, les admettre leur donnerait l’impression d’être faibles. Vous avez honte, trop honte pour partager cela avec qui que ce soit. Nombreux sont ceux qui pensent que vous ne faites aucun effort. "Allez, il faut se reprendre, ce n’est pas grave." C’est difficile de comprendre ce que ressent une personne victime de crises d’angoisse jusqu’à ce que vous en fassiez vous-même l’expérience. Nous manquons tout simplement d’empathie. Admettre que vous suivez une thérapie est déjà stigmatisant. Du moins, ça l’est ici, car aux États-Unis, tout le monde le fait. Nous devrions le banaliser.
De nombreuses femmes pensent qu’elles ont besoin de tout gérer. C’est aussi son cas, elle est une amante, une neuroscientifique, une fille. Ce doit être épuisant.
G.S. : C’est exactement mon propos. Elle doit admettre qu’elle n’a plus besoin d’être parfaite. Pour moi, c’est la même chose. Je regarde les réseaux sociaux et je vois tellement de femmes parfaites qui arrivent à tout gérer. Vous avez toujours l’impression d’être complètement dépassée, et puis votre corps et votre âme vous rappellent à l’ordre. Vous devez comprendre que vous faites ce que vous faites pour les mauvaises raisons. C’est inutile, parce que les gens vous aiment pour la personne que vous êtes. Cela paraît si simple. J’ai pourtant mis dix ans à le comprendre.
E.J. : L’angoisse et les crises d’angoisse sont le symptôme que quelque chose ne va pas. C’est un signal d’alarme qui vous dit d’arrêter. Vous devez juste ne pas le négliger. Nous déclarons que le perfectionnisme est la religion de notre temps. Le monde est rempli d’exemples de réussite et nous nous demandons constamment si nous en valons la peine, si nos enfants vont réussir. Enfant, vous pensez que l’amour que vous méritez est conditionné par le fait d’avoir de bonnes notes ou de faire la vaisselle. Vous voulez que les autres disent que vous avez accompli quelque chose. Mais le fait est que, vous ne voyez votre reflet dans l’eau que si elle est calme. Si vous êtes stressé, vous n’y arriverez pas.
Pourquoi souhaitiez-vous qu’elle soit une scientifique ? Et qui plus est, une scientifique qui doit se battre pour garder son poste ?
G.S. : Ce personnage a eu tellement de métiers. Au départ, elle devait travailler dans un centre d’appel ! Nous voulions montrer un domaine compétitif, surtout pour les femmes. Nous voulions montrer quelqu’un qui dépend de son intelligence avoir des problèmes de santé mentale. Nous avons entendu parler de l’étude appelée "Universe 25". Des scientifiques ont essayé de créer les conditions de vie idéales pour des souris, mais leur monde a toujours fini par s’effondrer. Elle finit par conclure que ce qui manque, c’est l’amour.
(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)