Tomasz Wiński • Réalisateur de Borders of Love
“Il n’y a que la douleur qui m’intéresse”
par Marta Bałaga
- Dans le nouveau film du Polonais installé en République tchèque, un couple uni depuis longtemps décide de réaliser ses fantasmes, y compris avec d’autres gens
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bande-annonce
interview : Tomasz Wiński
fiche film] de Tomasz Wiński, projeté en compétition à Karlovy Vary, Hana et Petr (Hana Vagnerová, qui a co-écrit le scénario et Matyáš Řezníček) sont heureux ensemble. Ils partagent tout, même leurs fantasmes sexuels. Un jour, ils décident d’aller un peu plus loin et d’inviter un inconnu dans leur lit. Mais ensuite, impossible de revenir en arrière.
Cineuropa : Il y a eu récemment beaucoup de films sur le sexe et l’érotisme, pas tous très bons, mais qui ont beaucoup gagné en popularité. Ne craigniez-vous pas qu’on vous mette dans le même panier ?
Tomasz Wiński : J’ai délibérément voulu intégrer ce groupe, puis j’ai voulu surprendre le spectateur par le simple fait qu’il ne s’agit en fait pas d’un film de soft porn kitsch bon marché. Je pense que ce film est plutôt douloureux et triste, voire désagréable. On a une affiche très sexy, mais il ne parle pas que de sexe. Il y est question de communication, d’émotions, et des limites de la sincérité et de la liberté dans une relation.
Ces deux dernières années, on a été enfermés dans des bunkers, donc on s'est tous enfouis dans les recoins cachés de nos âmes. Vous voyez un couple dont la liberté diminue, et le sexe semble être le seul moyen de s’évader. Elle se rend compte que quand elle le provoque en lui parlant de ses fantasmes, elle attire son attention. Mais elle ne dit pas : “Remarque-moi”. Elle dit juste : “Ce gars a un beau cul”. Il se sent offensé par ça, mais ne montre pas que ça le blesse. Ils se lancent dans l’expérience sans vraiment le vouloir, c'est juste qu'ils n'ont pas le courage de dire ce qu’ils ressentent. Ils semblent beaucoup se parler, mais ce n'est qu'un jeu de la sincérité totale qui devient de plus en plus douloureux.
Il semble avoir honte du fait qu’il arrête d’aimer ça, à un moment donné.
Parce qu’il l’a poussée là-dedans, dans un sens. C'est dans le bar, au tout début, que les choses commencent à se briser. Elle commence à vivre des choses très intenses, et il ne peut pas le supporter mentalement, alors il la réprimande et devient moralisateur, ce qui est complètement injuste. On assiste à l’effondrement d’une certaine mentalité patriarcale. Et cette femme libérée se met à échapper à son contrôle.
Quand on parle de sexe au cinéma, ça devient généralement très sérieux. Dans votre film, cependant, il y a des scènes qui sont tout simplement embarrassantes – comme quand le sexe est soudainement interrompu par les pleurs d’un bébé et que vous devez alors parler au mari de votre amante, qui était censé se contenter de regarder.
Je suppose que c’est le sujet du film : ce contraste douloureux entre nos fantasmes et la réalité. Les Tchèques [Wiński est né en Pologne] ont une capacité particulière à garder leurs distances. Ils sont capables de voir l’aspect humain, même sur les sujets les plus sérieux. Je n’ai pas fait d’enquête sociologique avant, mais en écrivant, Hana et moi avons principalement parlé de nos propres expériences. Un de mes amis faisait partie d'un groupe secret d’échangistes : 500 personnes échangent leurs partenaires, se classent et se donnent des conseils. Cette scène qui vous a fait rire ? Il l’a vécue [rires]. C’est drôle parce que toutes ces limites sont en fait très individuelles. Il y a des gens qui peuvent être heureux dans une relation ouverte, ils peuvent apprécier ce genre de libertés. Personnellement, je ne suis pas assez courageux. Je ne voudrais pas mettre en danger ce que j’ai. C’est fascinant, cependant, qu’après avoir travaillé sur ce film pendant sept ans, je n’aie toujours pas les réponses.
Vous dites que ce n’est pas un film sur le sexe, mais comment comptiez-vous montrer toutes ces rencontres, même si elles ne sont généralement pas trop explicites ?
Le sexe est leur façon de communiquer, il fallait donc que ce soit crédible. J’ai dit aux acteurs que je ferais de mon mieux pour les mettre à l’aise, que je ne leur ferais jamais de mal, mais ils ne pouvaient pas avoir honte. On devait croire en ces émotions, mais l'idée n'était jamais que ce soit excitant.
Les histoires de couples qui veulent changer leur relation ou leur vie sexuelle sont souvent tristes, comme Eyes Wide Shut, par exemple.
C’est un de mes films préférés. La scène où [Nicole Kidman et Tom Cruise] fument un joint ensemble est une des meilleures scènes jamais faites sur la dynamique d’une relation amoureuse. On a regardé une dizaine des meilleurs films modernes sur l’intimité. Cependant, on a fait très attention à ne pas copier qui que ce soit. Je pense qu’il n’y a que la douleur qui m’intéresse – quand je montre des gens qui sont si proches, mais qui pourtant continuent de se faire souffrir l'un l'autre et n'arrivent pas vraiment à se parler. C’est pourquoi ce film peut paraître effrayant. Après, les gens peuvent se demander : “Suis-je vraiment sincère dans ma relation amoureuse à moi ?”. Et ils pourraient ne pas aimer la réponse.
(Traduit de l'anglais par Marine Régnier)
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