Gilles Sacuto • Producteur et président, Syndicat des Producteurs Indépendants
"Le cinéma a toujours raison de s’inquiéter de son avenir : c’est comme ça qu’il avance"
par Fabien Lemercier
- Le président du Syndicat des Producteurs Indépendants décrypte la conjoncture du secteur à l’occasion des Rencontres Cinématographiques de l'ARP
Président du Syndicat des Producteurs Indépendants, Gilles Sacuto est présent aux 32es Rencontres Cinématographiques de l'ARP (Société civile des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs) organisées au Touquet-Paris-Plage du 2 au 4 novembre. Rencontre avec le co-pilote de TS Productions (qui compte à son actif une quarantaine de longs métrages dont Séraphine [+lire aussi :
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Cineuropa : Quel est votre analyse des difficultés de redémarrage de la fréquentation des salles françaises qui fragilisent les distributeurs et par rebond les producteurs ?
Gilles Sacuto : La production a heureusement redémarré plus vite en France que dans d’autres pays. Mais comme les salles ont été fermées pendant deux fois six mois, il y a eu ensuite une quantité importante de films à sortir dans des périodes très tendues. Pour mieux organiser le marché face à ce "mur de films", nous appelions alors de nos voeux une régulation momentanée qui n’a malheureusement pas été mise en place. Ce contexte a énormément fragilisé l’exploitation et, à cause des mesures sanitaires, le public a mis très longtemps à revenir dans les salles et il n’est pas encore revenu totalement. Mais depuis un mois et demi, les chiffres sont bien meilleurs et du côté du cinéma français, notamment d’auteur, beaucoup de films font des bons scores. Le paradoxe, c’est que ce sont plutôt les films américains forts qui manquent au marché, mais cela, ce n’est pas en notre pouvoir : nous le subissons, les salles le subissent, les distributeurs de cinéma international aussi. Nous manquons également d’un redémarrage plus fort à l’international pour que nos films continuent à s’exporter car dans un certain nombre de pays la situation est encore bien moins bonne qu’en France. C’est tout cela qui pénalise la production française aujourd’hui : les distributeurs et les vendeurs et donc au bout de la chaîne les producteurs français, les cinéastes, les scénaristes et les équipes car tout cela pèse sur la manière dont on fait les films.
À court terme, cette situation risque-t-elle d’entraîner une contraction du volume de films français produits et une baisse du budget moyen ?
On peut le craindre. On ne le souhaite pas évidemment, surtout qu’un certain nombre de contraintes continuent à peser sur les producteurs, notamment des dépenses supplémentaires qui s’ajoutent au coût des films. Il y a un véritable effet de ciseaux entre des coûts qui augmentent et des difficultés à réunir les budgets.
Quid des débats récents mettant en question l’offre de films français et leur qualité ?
Je ne crois pas du tout que cela soit un problème d’offre et on le voit très bien depuis septembre. Il y a une offre variée, des films à vocation plus populaire qui trouvent leur public, d’autres qui ne le trouvent pas, et c’est pareil pour les films d’auteur. Je ne pense pas non plus qu’il y ait un problème de qualité des films, des distributeurs ou des salles. En revanche, il y a un problème de quantité de films américains et les producteurs français n’y peuvent strictement rien. Après, se poser des questions sur la qualité de ce que l’on fait, c’est toujours pertinent. Ce qu’on a aussi entendu, c’est que le cinéma pouvait être perçu comme un loisir un peu cher. Cela, nous devons y réfléchir collectivement. Cela ne veut pas dire qu’il faut brader les prix, mais dans un moment où la question du pouvoir d’achat est très prégnante, il me semble qu’on peut réfléchir au prix de la place de cinéma.
Quelle est la position du SPI par rapport à une éventuelle nouvelle réforme de la chronologie des médias ?
Nous sommes très satisfaits, comme beaucoup d’acteurs de la profession, de la chronologie signée en début d’année (lire l’article) et du fait que les plateformes contribuent maintenant au financement de la production de films de cinéma, indépendants, et dans les mêmes conditions que nos partenaires historiques : avec des préachats, et un final cut et un catalogue qui restent entre les mains des producteurs indépendants. Nous sommes également très satisfaits de l’accord avec Canal+ (news). La renégociation en cours ne concerne en réalité que certains acteurs entre eux, notamment un opérateur qui est lui-même producteur (n.d.l.r. Disney), et je pense que des mécanismes sont en train d’être trouvés. Ce n’est pas parce qu’il y a ce petit point de blocage qu’il faut jeter le bébé avec l’eau du bain ! Au contraire, il y a eu un patient travail de concertation et de négociation, et la profession s’est accordée. Ce serait une très mauvaise idée de défaire ce qu’on vient de faire dans un grand sens de l’intérêt général. Ce qui est important, c’est que les plateformes vont contribuer à préacheter des films de cinéma auprès de producteurs indépendants qui resteront propriétaires de leurs œuvres. C’est un signal fort et j’espère que nos camarades des autres pays européens pourront avoir eux aussi dans leurs plans de financement des préachats de plateformes qui ne se transforment pas en films de plateformes, mais qui sont simplement des films préachetés par des plateformes pour des périodes de diffusion : des films de cinéma qui d’abord sortent en salles, puis qui sont diffusés soit par des chaînes TV par abonnement soit par des plateformes avant de continuer leur exploitation sur les chaînes en clair.
Partagez-vous les inquiétudes manifestées par l’Appel à des États généraux du cinéma (article) auquel le SPI n’a pas participé ?
Aucune des organisations de producteurs n’a participé officiellement. Je comprends tout à fait l’inquiétude des professionnels qui n’ont peut-être pas en tête tous les accords signés par les syndicats. S’inquiéter pour l’avenir du cinéma, c’est de toutes façons une bonne chose. Le cinéma a toujours raison de s’inquiéter de son avenir : c’est comme ça qu’il avance, qu’il se construit. Que le cinéma se mobilise et dise haut et fort qu’il a envie de continuer à exister dans un monde qui n’est pas toujours facile pour lui, c’est une très bonne chose. De leur côté, les syndicats de producteurs, dont le SPI, font leur travail pour signer des accords avec des plateformes qui au départ n’avaient peut-être pas toutes envie d’en signer, mettre au point une chronologie des médias pour les intégrer, qui les oblige à participer et qu’elles y trouvent avantage, mais que ce soit un avantage en faveur des producteurs indépendants, des cinéastes, des scénaristes, de tout ceux qui font l’industrie du cinéma en France. Parce que faire des films de plateforme pour les plateformes, ce n’est pas un but en soi. Le but est que les plateformes participent au cinéma.
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