Hana Nobis • Réalisatrice de Polish Prayers
“La première fois que j’ai vu Antek, je me suis dit qu’il avait une tête à film ; j’ai aimé la manière dont il bougeait”
par Giorgia Del Don
- La réalisatrice polonaise nous parle de son premier long-métrage, qui dépeint son pays, ses contrastes et le manque de communication entre les différentes communautés qui l'habitent
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critique
interview : Hana Nobis
fiche film] parle du pays indiqué dans le titre, la Pologne, de ses contrastes et du manque de communication entre les communautés qui y vivent, à partir de la perspective d'Antek, un jeune partisan d’extrême droite qui se met petit à petit à interroger les principes en lesquels il a toujours cru fermement. Nous avons interviewé Hana Nobis, la réalisatrice du film, qui a été projeté à l’IDFA.
Cineuropa : Où avez-vous trouvé Antek, le personnage principal de votre film, et comment êtes-vous parvenue à établir un tel degré d'intimité avec lui ?
Hana Nobis : Antek a visionné les images de nombreuses fois pendant l’élaboration du film, et je lui ai souvent demandé son opinion. Nous étions dans le même bateau et nous avons beaucoup fait pour rendre ce film possible. Je l’ai rencontré dans un camp de survie pour garçons en Ukraine. À l'époque, nous tournions déjà depuis un an, et j’avais été présente à beaucoup d’événements de la Fraternité. Au camp, ses camarades m'ont dit qu’il avait des difficultés dans sa vie privée, et ça m’a intéressée. La première fois que je l’ai vu, je me suis dit qu’il avait un visage qui demandait à être filmé. :J’aimais bien la manière dont il bougeait, et il n’était pas embarrassé par le fait d’être filmé. Mon directeur de la photographie [Milosz Kasiura] et moi nous sommes dit que ce serait une bonne idée de miser sur lui. Il était différent des autres garçons, et très sincère. Nous avons été très patients : nous avons vraiment beaucoup tourné avant de décider comment raconter l’histoire. Il m’a fallu cinq ans pour faire ce film. Même si Antek avait le contrôle et n'aimait pas toujours l'ordre ou la chronologie du film, il a reconnu qu'il était fidèle à la vérité.
L’histoire d'Antek est un pur parcours de montagnes russes. Pouviez-vous imaginer qu'il changerait à ce point, et comment avez-vous traité la chose ? En quoi cela a-t-il affecté la forme de votre film ?
Je savais dès le départ qu’il y aurait un changement dans sa vie, mais je ne m'attendais pas à un changement aussi drastique et visible. Il voulait me parler parce qu'il y avait des choses dont il ne pouvait discuter avec personne d’autre. Il s'est montré très empathique dès le départ, et sincère, plus fragile que les autres garçons, si fragile qu’il aurait pu mourir. J’ai été témoin de ça, j’ai senti son émotion. Il a changé, mais il reste très radical et différent. Il est comme une éponge. Antek était un peu, surtout au début, comme un chevalier – ces hommes qui apprennent comment se conduire avec les femmes, qui doivent être courageux et tout ça. Mon idée était de trouver le vrai chevalier derrière l’armure, un chevalier dans lequel je pouvais croire.
Comment étiez-vous perçue, en tant que femme au sein du groupe (presque) entièrement masculin que vous avez choisi de filmer ?
Avoir une femme comme moi dans leur groupe était nouveau pour eux, et ça a amené une nouvelle énergie, créant le genre de contrastes ce que je cherchais dans le film. Certaines personnes ont même suggéré que je filme ma relation avec les garçons, parce qu'elle était très intéressante, mais je ne voulais pas, car ce n’était pas mon objectif. J’étais là pour avoir une discussion avec eux, une attitude que plusieurs personnes autour de moi ont perçu comme naïve ou comme une perte de temps. À vrai dire, mon objectif n’était pas de les changer, c’est impossible. Ce que je voulais changer, c'est ma propre perception, essayer de mieux comprendre leur vie au lieu de me contenter de les juger. La Pologne est un endroit assez compliqué en ce moment : nous avons un gouvernement conservateur qui rend impossible la coexistence entre les gens de mentalités différentes. Mon désir est de vivre dans un pays où je peux avoir une discussion avec n’importe qui ; je ne veux pas être comme beaucoup de gens de gauche, qui considèrent de manière simpliste les conservateurs comme une vermine. Je veux vivre dans un pays où les gens se respectent les uns les autres. Je ne sais pas comment ils ont pris ma présence, mais ce que je peux dire, c’est que je m'étais mis bille en tête, et surtout j’avais de bonnes intentions. Au-delà du physique qu’on présente, qu'on soit un garçon ou une fille, c’est une question d’intentions : on ne peut pas mentir sur ses intentions.
Sur le plan esthétique, Polish Prayers est très précis et raffiné. Quelles étaient vos références artistiques ?
Dans un documentaire, on peut pas demander à ses personnages de répéter quelque chose, c’est impossible. On ne peut que les regarder et prendre ce qu’ils proposent. Je cherchais un chef opérateur qui saurait vraiment se rapprocher des personnages. Je voulais voir comment les relations se forment dans un univers aussi patriarcal. Si on les observe de l’extérieur, selon une perspective totalement différente, c’est vraiment facile de rire d'eux, de leurs croyances et de leurs comportements. Pour éviter cela, il est nécessaire de rester proche des personnages, de ne pas être simplement cynique. Je ne voulais certainement pas les aborder en me tenant à distance, comme un visiteur dans un zoo. Ensuite, quand j’ai finalement rencontré Antek, j'ai su qu'il fallait qu'on tourne comme si on faisait un film de fiction. Quant à mes références, j’aimerais mentionner Chloé Zhao et The Rider.
(Traduit de l'anglais)
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