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BERLINALE 2023 Forum

Piotr Pawlus et Tomasz Wolski • Co-réalisateurs de In Ukraine

“Nous voulions nous assurer que ce pays serait un personnage central du film”

par 

- BERLINALE 2023 : Les réalisateurs polonais nous parlent de leur documentaire, qui au lieu de s’immiscer, observe en silence les combats et les joies quotidiennes dans le pays en guerre du titre

Piotr Pawlus et Tomasz Wolski • Co-réalisateurs de In Ukraine
Les réalisateurs Piotr Pawlus (© Tomasz Wolski) et Tomasz Wolski (© Piotr Pawlus)

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fiche film
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, le documentaire de Piotr Pawlus et Tomasz Wolski, en lice dans la section Forum de la Berlinale, la vie suit son cours, même dans une Ukraine ravagée par la guerre. Leur caméra, loin d’être intrusive, observe en silence les combats et les joies du quotidien. Quelle que soit la situation, ils se contentent de regarder, sans jamais juger.

Cineuropa : De toute évidence, vous avez décidé d’utiliser dans le film des plans statiques, sans voix off. Comment avez-vous choisi ces lieux ?
Tomasz Wolski : Nous avons travaillé de manière assez peu conventionnelle, car c’est Piotr qui était en Ukraine. J’ai remarqué sur Facebook qu’il y allait en permanence et j’ai voulu savoir pourquoi. Je pensais que je ne voulais pas faire un film sur ce conflit, parce que je me disais que de nombreux réalisateurs ukrainiens s’en chargeraient. Mais, il était là, à risquer sa vie. Il m’a dit que c’était pour lui un besoin vital, qu’il devait y aller pour aider.

Je lui ai demandé de filmer différents endroits, nous parlions de la manière de filmer certaines scènes. J’ai récemment jeté un coup d’œil à nos échanges et, ma foi, j’ai continué à les lire. C’était intéressant de chercher la solution ensemble. En effet, cette idée de n’utiliser que des plans statiques sans aucun commentaire va à l’encontre de ce dont les films documentaires se nourrissent habituellement.

Cela semble également très respectueux. C’est un peu comme dire : "nous ne prétendons pas comprendre ce que vous traversez, mais nous voulons quand même le montrer".
Piotr Pawlus : Tomasz proposait de nous contenter d’observer et de voir ce qui allait se passer. Des moments extrêmement émouvants se sont déroulés hors champ, car j’ai dû parler avec ces gens et les convaincre de me faire confiance. Et puis, nous changions souvent d’idées, en fonction de la situation. Une fois, j’étais dans un village et je suis tombé sur un terrain de jeu, qui plus tard est devenu un des lieux de tournage.

T.W. : Nous avions besoin de scènes où l'on pouvait voir la guerre. Il fallait qu'il ne fasse aucun doute que ce film était tourné "ici et maintenant". On pourrait dire que ces lieux de tournage se trouvent un peu partout. Mais, nous voulions nous assurer que ce pays serait un personnage central du film.

Vous montrez l’absurdité de la guerre, qui va des soldats qui attendent dans les bois faisant semblant d’être calmes, à des gens qui se battent pour des céréales pour le petit-déjeuner. Il n’est pas seulement question d’héroïsme.
T.W. : Ils se disputent pour de la nourriture. Nous nous demandions si cette scène pouvait se rapprocher de celle où l’on voit des chiens se battre eux aussi pour de la nourriture. Dans quelle mesure commentons-nous cela ? Ces gens n’y sont pour rien. Ces conditions de vie présentent de nombreuses difficultés, et Piotr les a vécues lui aussi. Il n’est pas juste question de la guerre. Il s’agit aussi de bureaucratie et de corruption. Nous ne l’évoquons pas dans le film, mais il n'a jamais été question de ne parler que de célébrations. Nous voulions trouver un équilibre et montrer des moments difficiles à une époque qui l’est tout autant.

J’avais l’impression que ce projet exigeait une certaine distance. La compassion existe, de toute évidence, mais la frontière entre ce sentiment et le chantage affectif est mince, ce qui est facile lorsque l’on parle des malheurs de quelqu’un. Et puis, aussi horrible et triste que ce soit, nous sommes désormais habitués à ces images, nous assistons en permanence à des scènes dramatiques. Ici, la guerre et sa brutalité sont présentes, mais elles restent au second plan.

En somme, vous avez fait un film sur la vie.
P.P. : Les journalistes et les reporters s’intéressent à la guerre. Ce n’est pas l’histoire que ne voulions raconter. Nous montrons simplement cet état entre le calme et l’angoisse. Les gens essaient de vaquer à leurs occupations, mais la peur est partout, en permanence. Je l’ai moi aussi ressentie. Parfois, je ne pouvais pas mettre la caméra à tel ou tel endroit, parce que si je bougeais, je risquais de tomber sur une mine.

T.W. : Filmer l’ordinaire dans des circonstances qui sont extraordinaires est quelque chose qui m’intéresse. Voir de quelle façon les gens s’adaptent et mènent une vie normale. Pendant la 2e guerre mondiale, les gens devaient aussi se procurer de quoi manger et rencontrer ses amis. Ils tombaient amoureux, et des enfants naissaient. Ils continuent de vivre parce qu’il n’y a pas d’autres alternatives. Ils ne peuvent pas rester dans les sous-sols à se morfondre.

In Ukraine semble suspendu dans le temps. On a parfois l’impression que vous montrez le passé, avec des gens qui prennent les chars en photo, mais à d’autres moments, il ne fait aucun doute sur ce qu’il se passe.
T.
W. : C’était étrange de voir des gens photographier les chars. On dirait des souvenirs de moments terribles révolus depuis longtemps, mais ce n’est pas le cas. C’est peut-être un geste d’espoir ? Un jour, on montrera ces photos aux enfants en disant : "voilà à quoi ça ressemblait". J’imagine que ça dit quelque chose de notre époque, ce besoin de tout immortaliser.

(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)

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