Fiona Tan • Réalisatrice de Dearest Fiona
“J’aime bien repousser les limites de là où le cinéma s’arrête, et où l’art commence”
par Jan Lumholdt
- BERLINALE 2023 : Créer des oeuvres pour le cinéma et pour les galeries d’art est une chose dont l’artiste visuelle et réalisatrice pense manifestement qu’elle mérite d’être explorée
Présenté en avant-première dans la section Forum de la 73e édition de la Berlinale, Dearest Fiona [+lire aussi :
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interview : Fiona Tan
fiche film] est présenté comme le troisième long-métrage de l’artiste-plasticienne Fiona Tan. C’est également une œuvre créée pour une installation dans une galerie d’art, un processus quelque peu délicat. Venue présenter son film à Berlin, la célèbre artiste-réalisatrice s’est livrée sur sa manière de procéder.
Cineuropa : Que pensez-vous de Dearest Fiona en tant qu’œuvre cinématographique par rapport à son incarnation en tant qu’installation artistique ?
Fiona Tan : C’est quelque chose que j’essaie d’analyser et je crois que ça a bien fonctionné hier lors de la projection. Je sais que l’installation, qui a été réalisée une fois à ce jour, a également fonctionné lors de l’exposition. Mais la situation est bien entendu différente. Il y a des choses à dire pour les deux. Hier, j’ai regretté un manque d’intimité et aussi le contrôle que je peux avoir lors d’une exposition, en matière d’espace, de place, de son… Au cinéma, il y a une norme industrielle du son qui n’est peut-être pas optimal, ce qui peut s’avérer frustrant également. Et puis, pour moi, l’écran était un peu loin aussi, c’est un grand cinéma. Mais les spectateurs se sont glissés dans le film, et… ils sont entrés dedans. Ça a marché. Faire quelque chose pour deux lieux si différents est quelque chose d’assez inhabituel, et je pense que c’est la raison pour laquelle si peu de gens veulent le faire.
On présente Dearest Fiona comme votre troisième long-métrage. De quelle manière diriez-vous qu’il est lié aux deux précédents ?
Le premier, History's Future [+lire aussi :
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interview : Fiona Tan
fiche film], est l’idée que vous vous faites du "long-métrage", un scénario et des acteurs. Ascent [+lire aussi :
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fiche film], mon deuxième film, a des points communs avec Dearest Fiona. Il est entièrement réalisé à partir d’images issues d’une collection que j’ai faite avec 4000 photographies du mont Fuji. Ascent utilise également la voix off, bien que celle-ci soit fictive. Dans Dearest Fiona, les lettres de mon père sont réelles, tout comme les images. Elles ont ensuite été assemblées les unes avec les autres.
Les images datent du début du XXe siècle, voire de la fin du XIXe. Elles ont été prises aux Pays-Bas et proviennent des archives du Eye, le musée du film à Amsterdam. Pourriez-vous nous parler du processus et de la façon dont les lettres de votre père se sont retrouvées là ?
Cela fait des années que le musée Eye et moi travaillons ensemble. J'ai fait une exposition pour eux. Très vite, ils m'ont dit qu'ils adoreraient que je crée à nouveau quelque chose et qu'ils seraient heureux de mettre leurs archives à ma disposition. C’est la première fois qu’ils donnaient carte blanche à quelqu’un. J'avais une vague idée de ce que je voulais faire. Parler de ces longues années passées aux Pays-Bas, où j’étais désormais chez moi, tout en regardant d'où je venais. Alors que je commençais à regardant les images, j'ai redécouvert les lettres de mon père au fond d'un tiroir. C'était la solution idéale pour réunir les deux, car il les avait écrites lorsque j’avais quitté l'Australie pour m’installer à Amsterdam.
Avez-vous suivi des règles ou des directives concernant les lettres et leur relation avec les images ?
Les lettres sont toutes des échanges qui s’étalent sur une période d’un an et demi, certaines sont incomplètes, mais j’avais l’impression qu’elles formaient un arc narratif. Idem avec les images. Autre règle que nous avons respectée, nous avons également gardé les pauses dans la lecture d’Ian Henderson. Son tempo et son phrasé étaient juste parfaits. Associée aux images, la voix formait une sorte de danse.
Compte tenu de vos multiples origines, y a-t-il une raison particulière pour qu’un acteur écossais prête sa voix à votre père, un Chinois d’originaire Indonésienne ? Peut-être est-ce en raison des origines écossaises de votre mère ?
En fait, je pensais lire les lettres de mon père moi-même. Il était prévu qu’un acteur les lise, que je l’écoute et qu’il me dirige. Mais lorsque j’ai entendu Ian, je me suis dit que j’allais peut-être conserver cette version. Il est devenu un personnage, ce dont le film avait grandement besoin.
Allez-vous poursuivre dans la réalisation de long-métrage ? Cela vous procure-t-il du plaisir ?
Oui et non. Je pense que ce qui me plait c’est de secouer un peu le cinéma. J’aime bien repousser les limites entre le cinéma et l’art. Il y a bien sûr une longue histoire de cinéma dans les expositions d’art contemporain. Mais ce qui m’intéresse, c’est cet entre-deux. J’écris de plus en plus, et je commence tout doucement à comprendre comment écrire un scénario. Ou du moins comment j’écris un scénario pour mes œuvres.
(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)