Omar Al Abdul Razzak • Réalisateur de Matar cangrejos
“Nous les scénaristes, nous mettons beaucoup de nous-mêmes dans les personnages”
par Alfonso Rivera
- Le réalisateur et producteur a décroché le prix du meilleur long de la section Canarias Cinema du Festival de Las Palmas, un trophée qui s’ajoute aux deux qu’il a obtenus à Malaga
Omar Al Abdul Razzak, 40 ans, de sang hispano-syrien, partage son temps entre la production (au sein de la société Tourmalet Films) et la réalisation. À ce titre, il a déjà à son actif trois films : le documentaire Paradiso et longs-métrages de fiction La tempestad calmada et Matar cangrejos [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Omar Al Abdul Razzak
fiche film], une coproduction entre les Pays-Bas et l’Espagne, où il va sortir le 26 mai. Ce dernier titre vient de décrocher le Prix Richard Leacock du meilleur long-métrage de la section Canarias Cinema du 22e Festival international de Las Palmas de Grande Canarie, après avoir triomphé dans la section Zonazine du dernier Festival de Malaga, où il a raflé deux trophées (lire l'article). Content de sa nouvelle récompense canarienne, le réalisateur nous a reçu à son hôtel, sur la plage de Las Canteras.
Cineuropa : Pendant le tournage de Matar cangrejos, que disait Omar producteur à Omar réalisateur ? Se sont-ils bien entendus ?
Omar Al Abdul Razzak : Pendant le tournage, je me suis tenu à mon rôle de réalisateur, c'est le directeur de production (Manuel Arango) qui décidait de tout. J'étais d'ailleurs un mauvais producteur à ce moment-là, car je voulais tourner davantage, et générer plus de frais, comme pour la séquence de l'attraction de fête foraine, que j’ai tenu à tourner bien que nous ayons changé de lieu. La production m'a aussi fait couper 20 pages de scénario un mois avant le tournage : j'ai affronté la situation, mais bien que nous ayons prévu sept semaines de tournage, nous n’avions de l’argent que pour six, alors pour avoir une septième semaine, nous avons supprimé une semaine de pré-production, de sorte que nous n’avons même pas eu le temps de faire une lecture du scénario.
Le film est légèrement autobiographique. Qui tient le plus de vous : le petit ou l'adolescente ?
Je suis un mélange des deux, mais je tiens plus d’elle : elle est assez canaille et rebelle. Tous les scénaristes mettent un peu d'eux-mêmes dans leurs personnages.
Elle est un peu garçon manqué…
Ce genre de jeune fille, un peu masculine, était courant dans les années 1990, et ça plaisait. J'ai une amie d'enfance dont je me suis beaucoup inspiré pour ce personnage. C’était la plus destructrice et problématique de la bande ; elle venait d'une famille déstructurée et plus tard, elle devenue gothique. Avec elle, j’ai sniffé de la colle et fumé des joints pour la première fois.
Y a-t-il de la nostalgie dans ce film ?
Il n’a pas été écrit dans un esprit nostalgique et le public ne le reçoit pas de cette manière. C'est vrai qu'il a un élément nostalgique, mais vu comme j'ai tourné les choses et vu le regard ironique posé ici sur certains événements du passé, je crois que ça annule la nostalgie.
Vous dépeignez une époque analogique, où les enfants jouaient librement sur l'île de Tenerife.
Ça, en effet, c’est nostalgique. La liberté de cette époque me manque. Adolescent, je sortais de la maison le matin, je chopais le bus avec un camarade et je rentrais la nuit, et personne ne s'en souciait, et on ne faisait pas attention à l'heure. À présent, le téléphone portable nous contrôle.
Il y a dans Matar cangrejos un message anti-touristique, et en même temps, dans l'intrigue, les gens reçoivent comme un dieu une icône américaine comme Michael Jackson.
Le film repose sur des contradictions continuelles : le noir qui vient des États-Unis mais qui n’est pas noir, les vrais noirs qui arrivent ensuite dans des conditions bien pires… Dans les lieux coloniaux, il y a un effet d’identification avec le colonisateur : on ne l'aime pas, mais en réalité, on veut être comme lui.
Les dialogues du film sont crédibles et drôles à la fois. Ont-ils été simples à écrire ?
Ils ont été écrits et récrits. Nous avons d’abord voulu entendre comment les acteurs non-professionnels les disaient, et on a modifié en fonction. Il était interdit d’apprendre les textes par cœur, mais les interprètes savaient d'où ils partaient et où ils devaient arriver. J’aime bien ce genre de dialogues, et je m'amuse beaucoup en les écrivant. Nous avons aussi beaucoup emprunté à la réalité, par exemple une conversation que j’ai entendue pendant les repérages, de la bouche d'adolescents qui étaient assis pas loin.
Enfin, comment obtient-on une belle syntonie entre les acteurs non-professionnels et les comédiens professionnels ?
Celle qui s'est adaptée, c'est l'actrice professionnelle (Sigrid Ojel), qui a dû apprendre des non-professionnels. Nous avons aussi copié d’autres environnements : nous sommes allés dans les quartiers, pour qu’elle s'imprègne des gens et atténue son jeu.
(Traduit de l'espagnol)