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CANNES 2023 Compétition

Nuri Bilge Ceylan • Réalisateur de Les Herbes sèches

"Ce qui ni le temps, ni la culture ne change, ce sont les âmes qui sont semblables partout"

par 

- CANNES 2023 : Le cinéaste turc livre quelques pistes de décryptage de son nouveau film centré sur un enseignant se sentant coincé dans un coin isolé de l’Anatolie

Nuri Bilge Ceylan  • Réalisateur de Les Herbes sèches

Palme d’Or en 2014 avec Winter Sleep [+lire aussi :
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, deux fois distingué par le Grand Prix et une fois par le prix de la mise en scène, Nuri Bilge Ceylan est de retour pour la 7e fois en compétition au Festival de Cannes avec Les Herbes sèches [+lire aussi :
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Cineuropa : L’hiver est presque un personnage du film. Quelle est son influence sur l’histoire ?
Nuri Bilge Ceylan : Cela amplifie le sentiment d’éloignement qui est déjà présent dans cet endroit isolé, au milieu de nulle part. Le personnage principal ressent encore davantage que la vie est ailleurs. L’histoire provient de la réalité, du journal d’Akin Aksu qui est co-scénariste du film et qui a été enseignant pendant trois ans dans une autre région de Turquie. Quand j’ai lu ce journal, au départ, je n’avais pas particulièrement envie de refaire un film sur un enseignant, mais plusieurs mois après, cela me trottait encore dans la tête, alors je me suis dit que nous allions essayer d’en faire un scénario, en écrivant à trois. L’écriture a duré près d’une année et nous je me suis retrouvé avec un scénario très long, le double de celui de Winter Sleep. J’ai filmé l’intégralité du scénario et c’est au montage que j’ai coupé.

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Le personnage féminin de Nuray fait bien meilleure figure que son homologue Samet. C’est votre vision générale des femmes et des hommes ?
Pour moi, personne n’est ni bon, ni mauvais. C’est vrai que Nuray est une forte femme. Mais ce n’était pas une intention de principe, c’est parce que cela convenait au personnage qui a perdu une jambe dans une explosion meurtrière à Ankara et qui est également une activiste, ce type d’activité vous rendant parfois plus fort. Mais Nuray est également très faible sous d’autres aspects. Quant à Samet, il y a des événements catalyseurs qui ouvrent des portes à l’imagination et aux émotions : on comprend mieux et davantage de dimensions de la réalité. Parfois, de très petites choses servent de déclencheurs à nos âmes. C’est important : il y a un potentiel de changement et je voulais le montrer à travers le personnage. La fin peut même être considéré comme pleine d’espoir, cela dépend de la manière dont on la regarde. Car un visage peut être interprété très différent. Mais ce qui compte, vraiment, c’est que Samet, à mes yeux, est faible à la fin. Car je pense que les relations humaines authentiques ne surviennent qu’à travers nos faiblesses, pas à travers nos forces.

Les deux professeurs sont accusés par des élèves de comportements déplacés. Est-ce une réflexion par rapport aux changements actuels dans les relations entre les femmes et les hommes ?
Cet événement s’est tout simplement passé dans la réalité et il est présent dans le journal que nous avons adapté. D’ailleurs, il n’est pas du tout question d’abus dans le film, mais de comportements déplacés en classe. Bien sûr, le public peut imaginer que cela cache quelque chose. Mais fondamentalement, il y a toujours pour un enseignant une relation particulière avec certains ou certaines élèves que vous appréciez davantage. Car leur énergie donne un sens au métier et on crée ce genre de relations encore plus facilement dans des endroits isolés. Mais parfois cette relation délicate se brise par hasard comme dans le film avec cette lettre qui va avoir des conséquences imprévues. J’avais besoin d’un tel événement pour créer une cassure qui provoque beaucoup de choses, y compris entre les deux personnages principaux masculins. La vie est ainsi et pour Samet, c’est une grosse surprise et une vraie déception car il pensait que cette jeune fille l’appréciait sans conditions. Il commence à être très cruel parce que c’est aussi son caractère et qu’il n’arrive pas à s’en empêcher. Il utilise son autorité d’enseignant, mais il ferait la même chose si c’était un garçon. Il se comporte d’ailleurs de la même manière avec son ami, l’autre enseignant, Kinan. Mais la déception est d’autant plus forte que cette élève donnait une sorte de sens à sa vie. C’est comme avec Brutus : plus vous avez confiance, plus votre déception est forte.

L’éducation peut dériver dans une relation toxique.
Il y a toujours des luttes entre les êtres humains, y compris quand ils sont jeunes, et je voulais en montrer les conséquences. Dans ce cas précis, il y a un abus psychologique. L’enseignant est dans une position dominante qui facilite l’humiliation et qui fait monter son niveau de violence intérieure et émerger sa cruauté en général. Je pense que cette cruauté est potentiellement en chacun de nous. Et tout cela arrive à cause d’un malentendu à propos d’une lettre. Un incident qui m’a semblé un bon point de départ pour créer de la passion entre les personnages.

Depuis quelques films, vous utilisez de très longues conversations pour définir vos personnages et leurs motivations. Pourquoi ?
C’est une voie que j’explore. J’aime les scènes de discussions au théâtre et dans les romans de Dostoïevski par exemple avec leurs pages entières de conversations. Dans la vie, je préfère écouter, mais dans certaines circonstances je peux parler énormément, notamment des nuits entières quand on se dispute avec ma femme. Quand on se sent en danger dans son existence, on parle beaucoup, pour se protéger peut-être. Mais cela ne veut pas dire que je continuerai ainsi à l’avenir. J’expérimente simplement différentes choses.

Vous évoquez Dostoïevski. Plus largement, la littérature russe semble avoir une grande influence sur votre travail.
Depuis que j’ai lu Crime et Châtiment à l’âge de 19 ans, ma vie a changé. Je pense à mes personnages sous le prisme de cette littérature. Mais c’est un pays différent avec une culture différente, et chaque pays à sa propre culture et nous avons tous des personnalités diverses. Mais ce qui ni le temps, ni la culture ne change, ce sont les âmes qui sont semblables partout. C’est cela que je cherche à explorer, que je veux comprendre et que je veux voir.

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