email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

CANNES 2023 Compétition

Kaouther Ben Hania • Réalisatrice de Les Filles d’Olfa

"Amener des acteurs, comme des miroirs, face aux personnages réels"

par 

- CANNES 2023 : La réalisatrice tunisienne, en lice pour la Palme d’or pour la première fois, explique sa démarche très singulière à la frontière du documentaire et de la fiction

Kaouther Ben Hania  • Réalisatrice de Les Filles d’Olfa

Après Le Challat de Tunis [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Kaouther Ben Hania
fiche film
]
(ACID Cannes 2014), le documentaire Zaïneb n’aime pas la neige [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film
]
(hors compétition à Locarno en 2016), La Belle et la meute [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Kaouther Ben Hania
fiche film
]
(Un Certain Regard à Cannois 2017 et L’homme qui a vendu sa peau [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Kaouther Ben Hania
fiche film
]
(Venise Orizzonti en 2020), la Tunisienne Kaouther Ben Hania est pour la première fois en compétition officielle sur la Croisette, au 76e Festival de Cannes, avec Les Filles d’Olfa [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Kaouther Ben Hania
fiche film
]
.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)
Hot docs EFP inside

Cineuropa : Comment êtes-vous arrivée à ce style hybride de documentaire et de fiction ?
Kaouther Ben Hania :
Cela a été un long processus car j’ai commencé à tourner en 2016 un documentaire qui explorait la vie d’Olfa et de ses filles. Mais j’ai rapidement compris que je ne pouvais pas procéder ainsi car ce qui m’intéressait, c’était déjà du passé. Comment ramener ce passé au présent et comment l’analyser ? En réfléchissant aux clichés des reconstitutions dans le documentaire, je me suis dit que je pouvais peut-être utiliser ces clichés mais d’une autre manière, en les piratant en quelque sorte. Pour mes films de fiction, je suis toujours fascinée par le nombre de questions que les acteurs me posent sur leurs personnages, donc j’ai pensé que cela pourrait être intéressant d’amener des acteurs, comme des miroirs, face aux personnages réels. Les acteurs sortent ainsi de leur zone de confort parce qu’ils ne sont confrontés à personnages de scénario, mais à des personnes bien réelles. Je voulais filmer ces interactions, des scènes où les personnages réels dirigent les acteurs en leur disant quoi faire, et que ce soit aussi brechtien avec de la distance : on est dans la scène, en dehors de la scène, on réfléchit à la scène, etc. Une fois cette idée bien définie, je savais que je pouvais commencer le vrai tournage.

Quelle a été la part d’improvisation ?
J’ai écrit un scénario qui n’en était pas vraiment un. Car je connaissais beaucoup de choses sur la vie d’Olfa qui m’avait raconté son passé. J’avais identifié les moments intéressants pour le film et j’ai écrit de petites scènes, juste pour structurer le tournage, savoir quoi faire quand on serait sur le plateau. Mais j’ai laissé ces scènes ouvertes aux expérimentations. J’ai laissé les actrices et les personnages réels interagir et je filmais. Les acteurs eux-mêmes ne jouaient pas vraiment, ils amenaient leurs expériences. Donc c’est un documentaire sur Olfa et ses filles, mais également sur le processus de l’interprétation. Avec ce mélange, j’avais l’intention de faire un cinéma familial recomposé, mais elles m’ont beaucoup aidée, dès la scène de leur rencontre car Olfa et ses deux filles cadettes ont été frappées par la ressemblance de l’une des actrices avec l’une des deux aînées d’Olfa. Une sorte de sororité est née.

Le film traite de la violence que l’on se transmet de génération en génération.
Olfa parle même de malédiction. Elle fait à ses filles ce que sa mère lui a fait. C’est universel : nous transmettons à nos enfants nos traumatismes sans même nous en rendre compte, inconsciemment. Venant d’un milieu social très rude, Olfa raconte qu’elle a dû se couper les cheveux, devenir un homme. En un sens, elle est le patriarcat incarné, oppressant ses propres filles. C’est à cause de ses contradictions que j’ai voulu faire le film.

Comment avez-vous suscité cette incroyable spontanéité de jeunes sœurs à parler par exemple de leurs corps ?
Je les connaissais depuis des années quand le tournage a commencé et je savais presque tout d’elles. J’ai aussi été fasciné par leur façon de parler. Elles sont audacieuses et elles sont vraiment de très bonnes raconteuses d’histoire, tout comme Olfa. Elles sont aussi très courageuses car elles craignaient un peu au départ que le film rouvrent leurs blessures, mais elles ont insisté ensuite pour le faire. J’ai également été surprise par beaucoup de choses, notamment quand elles racontent en riant des histoires très dures : il y a un désir de vivre très fort. C’était un tournage émotionnellement éprouvant mais cela fonctionnait.

Quid de la représentation des hommes dans le film ?
Je voulais me concentrer sur les personnages féminins et j’avais l’impression que les hommes de leurs vies avaient un profil plus ou moins identique. C’est pour cette raison qu’ils sont interprétés par le même acteur. Je voulais simplifier au maximum car ce qui m’intéressait, c’était l’introspection et ce qui devient un itinéraire thérapeutique.

Il y a des moments où je ne contrôlais plus rien. Je me posais des questions, je me demandais si je n’allais pas trop loin.

Pensez-vous que le film fait porter un regard neuf sur les femmes arabes ?
Je connais les clichés sur les femmes arabes parce que j’y suis confrontée la plupart du temps. Mais mon objectif principal en tant que réalisatrice, c’est de montrer la complexité derrière les clichés et de créer un lien avec l’universel. C’est une relation mère-fille et nous savons tous ce que ça signifie, et des histoires d’adolescentes ce que nous avons tous été.

Le film révèle néanmoins l’impact sur leurs vies de l’histoire récente de la Tunisie.
C’est vrai. C’était un changement énorme car nous sommes passés de la dictature à une sorte de démocratie. Olfa elle-même fait sa propre révolution à ce moment là : elle divorce, l’une des filles devient gothique, un petit ami surgit, etc. Mais à cette liberté succède un comeback du refoulé. Selon la célèbre formulation de Gramsci : le vieux monde meurt, le nouveau monde n’est pas encore là et entre les deux émergent les monstres. C’est valable pour beaucoup de grands moments historiques et cela a été et c’est toujours le cas pour la Tunisie. C’est dans ce contexte que les filles d’Olfa ont grandi.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Lire aussi

Privacy Policy