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CANNES 2023 Quinzaine des Cinéastes

Bertrand Mandico • Réalisateur de Conann

"Une histoire démoniaque, une histoire de la barbarie au féminin"

par 

- CANNES 2023 : Le fantasque cinéaste français décrypte sa revisitation totale du mythe de Conan le Barbare, son envie d’un film heroic fantasy qui dérape ailleurs et nous emmène dans un autre monde

Bertrand Mandico  • Réalisateur de Conann
(© Paul Grandsard)

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(Semaine de la Critique à Venise en 2018) et After Blue (Paradis sale) [+lire aussi :
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en compétition à Locarno en 2021, Bertrand Mandico débarque sur la Croisette avec son 3e long, Conann [+lire aussi :
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, dévoilé à la 55e Quinzaine des Cinéastes (dans le cadre du 76e Festival de Cannes).

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Cineuropa : D’où est venue l’idée de vous emparer du mythe de Conan le Barbare ?
Bertrand Mandico : Je tournais autour d’un projet avec des succubes, des démons, des mondes antiques et j’avais beaucoup de notes sur ce qui allait devenir Connann. Puis j’ai eu une invitation du Théâtre des Amandiers pour penser un spectacle axé sur la préparation d’un film et comme par défi, j’ai proposé de faire Conan la Barbare au théâtre. On m’a dit oui, c’était presque une boutade, mais cela m’a aidé à connecter toutes mes idées. Ensuite, j’ai écrit mon scénario de long métrage qui n’a rien à voir avec que je faisais au théâtre. Du Conan originel, j’ai gardé l’impulsion de départ avec l’ouverture de la première partie du récit. Je me suis inspiré des romans de Robert E. Howard, l’auteur qui a créé Conan. Je suis même allé beaucoup plus loin, dans la mythologie celte, avec un Conann avec deux n à la fin qui était un conquérant et qui avait inspiré visiblement Howard. Ce personnage mythologique était entouré de créatures fantastiques, notamment à tête de chien, ce qui était un hasard heureux car dans mes notes j’avais cette présence d’un personnage, un démon à tête de chien. Tout cela a fait sens et j’avais l’envie de raconter une histoire démoniaque, une histoire de la barbarie au féminin.

Pourquoi au féminin ?
Ce qui m’intéresse, c’est de proposer à des actrices des rôles, des personnages qu’on n’a pas l’habitude de leur proposer. Je trouve qu’il y a quelque chose à rééquilibrer.

Comment êtes-vous arrivé à l’idée de plusieurs Conann incarnant plusieurs âges de la vie du personnage ?
En m’interrogeant sur le concept de la barbarie, je me suis demandé quel en était le comble. Pour moi, c’est la vieillesse qui tue la jeunesse, à commencer par la vieillesse qui tue sa propre jeunesse. En découle l’idée qu’à chaque décennie, il y a l’éclosion d’une nouvelle personnalité qui vient tuer et trahir la précédente. J’ai poussé cette idée à son paroxysme et j’ai travaillé sur un casting multiple avec un personnage qui est en évolution, en mutation perpétuelle. Je trouvais ça aussi très excitant d’un point de vue cinématographique car c’était m’appuyer sur le caractère, la personnalité des actrices pour construire cette Conann à la personnalité mutante.

Ces six âges de Conann croisent six époques de l’histoire humaine. Comment les définiriez-vous ?
Il y a une époque antique, très ancienne, cimmérienne, de magie, de démons. Ensuite, une époque plus romantique qui appartiendrait aux contes, aux légendes, et qu’on peut renvoyer au Moyen Âge. Après, il y a une rupture totale : ce sont les années 90, le Bronx, quelque chose qui renvoie beaucoup plus à notre monde et à notre réalité. Puis c’est une époque de guerres qui peut évoquer à la fois la guerre dans les Balkans, la guerre en Ukraine, mais également la Seconde Guerre mondiale. Enfin, c’est le chaos qui pourrait être après-demain. Sans oublier le sixième tableau, la mort, l’autre monde, la Conann qui est passé de l’autre côté.

Quid du démon Rainer, ce chien bipède qui sert de guide à Conann et de fil conducteur au récit ?
C’est une figure récurrente de la mythologie. Le chien, c’est l’animal qui peut passer dans le monde des morts. J’avais envie de créer un personnage hybride et de l’affubler d’un appareil photo car c’est à la fois la mort, un démon et un témoin. C’est un personnage qui peut se rattacher à la figure du photographe de mode un peu obsessionnel mais aussi du photographe de guerre un peu voyeur. Il y a aussi un hommage assez appuyé dans la silhouette et dans le look à la Fassbinder qui est un ange noir du cinéma que je vénère. Ce qui m’intéressait également avec ce personnage - car on est vraiment dans cette imagerie du pacte faustien qui était très présente dans le cinéma à un moment donné comme dans Les Visiteurs du soir de Marcel Carné ou autres -, c’est qu’au fur et à mesure que Conann se durcit, devient de moins en moins humaine dans son rapport à l’autre, Rainer s’humanise et finit par tomber amoureux de Conann. L’amour impossible m’intéresse beaucoup, comme la damnation avec cette Conann devenue vieille, qui a perdu la mémoire et qui est condamnée à se remémorer sa terrible histoire aux côtés de Rainer.

Vous avez quasiment tout tourné à la grue et sur un seul site. Une expérience ?
C’est un endroit que j’ai découvert avant d’écrire le scénario, donc j’ai pu penser à l’histoire à cet endroit et j’aimais bien cette idée d’unité de tournage. C’est une ancienne usine sidérurgique, donc où l’on travaillait le métal, ce qui fait sens avec Conann, et qui contenait des possibilités énormes d’agencement de décors. J’ai tourné en cinq semaines, ce qui n’est pas beaucoup par rapport à l’ampleur du film. J’ai donc eu ce parti-pris de mise en scène de travailler à la grue pour avoir une très grande fluidité des mouvements, avec beaucoup de plans-séquences. C’est aussi très aérien car on observe souvent Conann du ciel dans ses bas-fonds. La fluidité contrebalance la dureté du film.

Reprendre des thèmes universels et les distordre, c’est votre quête de cinéaste ?
Oui, ou peut-être casser des lieux communs, des habitudes qu’on peut avoir dans la façon de montrer certains sujets. Remettre en question des évidences cinématographiques, ne pas me résigner avec un financement de film d’auteur à faire un film dans un appartement, essayer de ne pas mettre mes ambitions dans ma poche et pouvoir résoudre ça avec la mise en scène, les décors, en essayant de synthétiser des situations et me lancer dans des grands sujets en gardant une dimension et une hauteur humaines. Je fais aussi les films que j’ai envie de voir, des films hybrides, c’est presque comme un jeu de collage : j’aimerais bien voir un film d’heroic fantasy qui va déraper ailleurs et nous emmener dans un autre monde. Mais un film m’a énormément influencé pour Conann : Lola Montes de Max Ophuls. Lola Montes est une courtisane déchue qui finit sa vie dans un cirque, perchée sur un trapèze, avec un monsieur Loyal qui est amoureux d’elle, et elle se raconte au travers de son numéro de cirque avant de faire le grand saut. C’est cette structure, cette situation qui m’a un peu servi de matrice pour Conann.

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