email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

CANNES 2023 Compétition

Ramata-Toulaye Sy • Réalisatrice de Banel et Adama

"Tout devait suivre le parcours émotionnel de Banel"

par 

- CANNES 2023 : La jeune cinéaste dévoile les intentions de son premier long métrage, tourné au Sénégal et propulsé directement en compétition officielle

Ramata-Toulaye Sy  • Réalisatrice de Banel et Adama

Premier long métrage de la réalisatrice franco-sénégalaise Ramata-Toulaye Sy, Banel et Adama [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Ramata-Toulaye Sy
fiche film
]
a été propulsé directement en compétition au 76e Festival de Cannes. La cinéaste y démontre une indéniable puissance atmosphérique sous la surface symbolique d’un récit focalisé sur l’essentiel.

Cineuropa : Pourquoi avez-vous choisi l’Afrique pour tourner votre premier long métrage et opté pour l’angle du conte, de la poésie et du réalisme magique ?
Ramata-Toulaye Sy : L’Afrique, c’est parce que je voulais changer de registre. Ce scénario, c’est celui de ma dernière année à La Fémis. Durant mes trois premières années, j’avais écrit des scénarios qui se déroulaient en France, en banlieue parisienne, mais j’ai vraiment senti l’appel de l’Afrique pour renouer avec mes origines. Car mes parents sont originaires du Sénégal et j’allais en vacances là-bas quand j’étais plus jeune. Quant au style du film, je suis passionnée de littérature, en particulier des contes, du réalisme magique, Toni Morrison, Cent ans de solitude, Faulkner, et des tragédies. J’ai donc décidé, même si cela faisait beaucoup, de mettre ces trois genres dans le même film tout en essayant de donner une certaine cohérence.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Cette histoire d’amour tragique, c’est Banel et Adama et non Adama et Banel.
C’est Banel et Adama, puis plus le film avance, c’est Banel parce Adama disparaît. L’objectif au début, c’était d’écrire la plus grande histoire d’amour africaine, mais c’est vrai que ce qui m’intéresse le plus, c’est l’histoire de Banel, l’histoire de cette femme, de son combat, de sa lutte pour exister dans ce monde en tant que femme, en tant que femme noire, en tant qu’Africaine.

Banel est un personnage assez ambivalent. Il y a le côté de lutte contre les traditions, mais on perçoit aussi une part de folie en elle.
C’est une femme déjà émancipée au départ, elle cherche juste à vivre son amour et sa passion comme elle le veut. Mais le thème de la folie chez la femme à cause de la passion amoureuse, c’est quelque chose que je voulais traiter. J’adore Médée et elle a tué ses enfants à cause de la trahison de Jason, j’aime aussi beaucoup Macbeth ou encore Phèdre, et que la passion amoureuse mène à la folie comme dans les films L’Histoire d’Adèle H. et Camille Claudel. Ces femmes hyper complexes, hyper amoureuses, leurs conditions les mènent à la folie et c’est pour cette raison que j’ai voulu traiter cette histoire de cette façon.

Le film se singularise par une très forte intensité, sur les visages, l’atmosphère, etc. Pourquoi ce parti-pris assez radical ?
Le plus important, c’était de trouver un fil conducteur pour la mise en scène et la photo, et qu’à chaque étape, pour les costumes, le montage, la musique, tout devait suivre le parcours émotionnel de Banel. Par exemple, les costumes se décolorent petit à petit. Plus le cœur de Banel s’assèche à cause des conditions et de son amour pour Adama qui disparaît à cause de la communauté, plus le monde s’assèche autour d’elle. J’ai traité cela d’une manière assez métaphorique. Au début, elle est très heureuse donc ce sont des plans "magnifiques", avec beaucoup de lumière, des couleurs très pastel, et plus le temps passe, plus cela devient blanc. Il y a de la décoloration et surtout de la désaturation, ce qui était un gros "challenge" parce qu’on n’a pas l’habitude de voir des films désaturés et en général quand ils le sont, cela veut dire que c’est mal filmé. Mais c’était aussi une obligation car il fallait trouver comment traiter la sécheresse, alors qu’il n’y en avait pas là où nous tournions. Donc plus on avance, plus l’image devient blanche jusqu’à devenir éclatante avant de passer à l’orange pour la tempête finale. Tout cela a nécessité un gros travail sur les couleurs, avec les filtres avec le chef-opérateur Amine Berrada et à l’étalonnage. Et cela a été pareil pour la musique, avec le Libanais Bachar Khalifé et pour le mixage aussi avec l’immense Jean-Pierre Laforce : il fallait suivre le parcours émotionnel de Banel. Car le son aussi devait disparaître. Dans la première partie, tout est heureux, les oiseaux chantent, on entend le village, mais à la fin, on n’entend plus rien, il n’y a plus d’animaux, on n’entend plus l’eau, les arbres. On devait créer la mort tout autour du village et cela devait passer par le son.

Vous vous êtes aussi essayée aux effets spéciaux.
J’ai eu la chance de travailler avec Mac Guff : les animaux, la nuée oiseaux, la tempête de sable. Je n’ai réalisé qu’un seul court métrage et sans effets spéciaux, donc c’était complètement inédit pour moi. Je ne savais pas que c’était si dur et que c’était cher. A la 20ème version de tempête, on m’a dit qu’il fallait arrêter (rires) et en choisir une. Mais c’était crucial, parce que même s’il y a du conte et du réalisme magique dans le film, il ne fallait pas que les effets spéciaux soient "cheap" : il fallait que ce soit assez réel. Cette tempête de sable a été un très gros travail car il y a des VFX au second plan mais pour tout ce que l’on voit au premier plan, les SFX c’était d’immenses et de plus petits ventilateurs : tout le monde s’y est mis pour les porter, y compris les producteurs.

Et cette idée des maisons ensablées que Banel et Adama désensablent pour pouvoir venir y vivre à l’écart du village ?
Pour moi, c’est un cercueil à ciel ouvert. C’est pour cette raison qu’on entend parfois de petites voix, comme si Banel était maudite et qu’elle était attirée par ces maisons. Il fallait un obstacle pour ces personnages et je ne voulais pas qu’ils aient envie d’aller à la capitale ou en France, que ce soit politique ou social. Je voulais qu’ils soient heureux là où ils sont, mais qu’ils veuillent leur propre maison. L’obstacle peut paraître simple pour un Européen, mais au Sénégal, quitter la maison familiale, c’est impossible, tout le monde vit en communauté.

Premier long métrage et une sélection en compétition à Cannes.
C’est magique et inattendu, mais il y a beaucoup de fierté.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Lire aussi

Privacy Policy