CANNES 2023 Quinzaine des Cinéastes
Elene Naveriani • Réalisatrice de Blackbird, Blackberry
“J'espère que ce personnage va galvaniser les gens"
par Teresa Vena
- CANNES 2023 : La réalisatrice suisse d'origine géorgienne nous parle de son film, qui brosse le portrait d'une femme d'âge mûr qui sait ce qu'elle veut
Elene Naveriani a présenté son premier long-métrage, Blackbird, Blackberry [+lire aussi :
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interview : Elene Naveriani
fiche film], à la Quinzaine des Cinéastes du Festival de Cannes. Entretien au sujet du personnage principal et de l'émancipation féminine, même tardivement dans la vie.
Cineuropa : Comme dans votre film précédent, vous avez situé l’intrigue dans la Géorgie rurale. Pourquoi était-ce important ?
Elene Naveriani : Plus on s’éloigne de la ville, plus la société devient rigide. C’est comme ça partout. Les choses sont conservées dans leur moule archétypal. Je pense que c’était important pour moi de trouver ça, et de situer l’histoire en dehors d’un contexte plus urbain. Ce qui m’intéressait était de trouver une société miniature, une société de petite échelle. Je voulais placer mes personnages dans un petit village et créer une micro-société qui fasse écho à d’autres endroits.
Où avez-vous trouvé votre inspiration pour développer le personnage principal ?
L’inspiration est venue d’un roman, écrit par la féministe géorgienne Tamta Melashvili. J’ai lu le livre juste après sa parution. Dès la première page, je me suis dit que c’était très fort, et que ça parlait d’un personnage très galvanisant. J’aime le fait que l’héroïne soit d’un certain âge. De plus, je me disais que les gens pouvait se rapporter à sa vie. Elle vit dans une société où l’oppression existe, où on ne peut pas toujours être la personne qu’on veut être. Son environnement ne lui permet pas de s’épanouir comme elle l'aimerait. Je trouvais qu'Etero avait une contradiction en elle, puisqu’elle est très intelligente, très intuitive, proche d'une "féministe naturelle", mais elle se soumet tout de même à ce que le monde extérieur attend d’elle. À la fin, elle arrive à sortir de la conque. Elle réussit sa vie : elle retourne à quelque chose qu’elle adorait, à sa liberté, son identité, son corps, ses gestes, son âge. Pour moi, en fait, c’est quelqu’un qui a réussi dans le contexte de la société. Je voulais la cueillir dans le roman et lui donner de la chair. Pour moi, c’est une icône. Elle a une force que personne ne peut définir, même si elle est une sorte de pilier dans le village et connaît bien tout le monde, de toutes les générations.
Comment avez-vous su qu'Eka Chavleishvili était la meilleure comédienne pour ce rôle ?
Je l'ai su dès que j'ai lu le premier mot du roman. J’ai travaillé avec Eka sur mon film précédent, Wet Sand [+lire aussi :
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interview : Elene Naveriani
fiche film], où elle avait un plus petit rôle. Donc je la connaissais et je sentais que nos cœurs battaient selon le même tempo. Pour moi, le livre avait été écrit pour elle. Bien sûr, cette conviction m’a beaucoup aidé.e en écrivant le scénario du film, parce que je pouvais constamment et aisément me rapporter à elle.
Pourquoi la sexualité est-elle un symbole de liberté ?
Ce qui est intéressant, c’est que dans le genre de société où s'inscrit l’intrigue, la sexualité des femmes d’un certain âge semble ne plus exister. Avec l’âge et la beauté qui passe, les femmes tendent à disparaître. Je voulais lui donner une scène. Le désir sexuel est une chose qui nous suit constamment, et Etero se libère à travers lui. Elle revient à son soi profond, et se dit : "Je n’ai pas fait ça parce que j'avais peur de quelque chose, mais en fait, j'en ai besoin". C’est ce que je voulais mettre en lumière. J’espère que ce personnage sera émancipateur pour d’autres gens.
Comment avez-vous identifié les éléments visuels permettant d'exprimer cela ? Dans quelle mesure pouviez-vous vous appuyer sur le roman à cet égard ?
Le roman est écrit à la première personne, c’est son monologue. L’histoire joue avec des flashbacks pour qu'on en sache plus sur son passé. Je ne voulais pas faire ça dans le film, je voulais me concentrer sur le présent. Le livre contient des descriptions très tangibles, très fortes, de la manière dont elle ressent les choses. Ça m’a aidé.e à comprendre comment elle se sent et à mettre ça en images. Toutes les scènes de sexe sont inventées, aucune n'est dans le livre. C’était très intéressant et très complexe. Ce qui comptait, pour moi, c'était de pouvoir dire quelque chose sur la société, sans que ce soit trop simple et direct.
Dans Wet Sand, la musique est un élément très important. Dans ce film aussi. Pouvez-vous nous parler du sound design du film ?
Nous faisons un énorme travail préliminaire avec mon concepteur sonore. J’ai toujours un air en tête pour chaque scène quand j'écris. La musique m'aide à élaborer le personnage. Elle articule le propos du film. Je n’ai utilisé que des chansons géorgiennes.
Comment se passe le financement de vos films en Suisse ?
Je suis extrêmement bien accueilli.e et épaulé.e par l’endroit où j’habite. Mes films sont bien soutenus. Bien sûr, c’est difficile de trouver des financements, ça n'est jamais une évidence, mais pour le moment, ça va. Je suis vraiment ravi.e d'avoir des gens qui me soutiennent. C’est une grande opportunité et un grand privilège pour moi, qu'on m'ait offert la chance de faire ces films. C’est aussi une grosse responsabilité, que de représenter quelque chose qui fait aussi partie de la Suisse.
(Traduit de l'anglais)
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