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Belgique / France / Suisse

Benoît Mariage • Réalisateur de Habib la grande aventure

"Je voulais faire une comédie sur une âme en tiraillement perpétuel"

par 

- Le cinéaste belge parle des origines et du "voyage héroïque" du personnage principal de son cinquième long métrage, en salles dans son pays cette semaine

Benoît Mariage • Réalisateur de Habib la grande aventure
(© Aurore Engelen)

Après avoir navigué entre la comédie sociale (Les Convoyeurs attendent, Les Rayures du zèbre [+lire aussi :
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) et le naturalisme (L’autre), Benoît Mariage revient avec Habib la grande aventure [+lire aussi :
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, une fable poétique contemporaine sur fond de quête identitaire et de crise de foi, à travers le parcours d’émancipation d’un héros tiraillé entre par ses origines et ses aspirations. Le film sort en Belgique ce mercredi 7 juin avec Bardafeu Distribution.

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Cineuropa : Quelles sont les origines du projet ?
Benoît Mariage :
C’est lié à une anecdote très concrète. Je suis professeur à l’IAD, et j’ai rencontré lors d’un tournage à Namur un jeune gamin de 15 ans, d’origine maghrébine. Il m’a demandé d’animer un atelier dans le quartier populaire où il habitait. J’ai fait ça tous les mercredis pendant trois mois, je l’ai pas mal vu pendant tout un temps, puis il a disparu des radars. Deux ou trois ans plus tard, je vais voir Le tout nouveau testament [+lire aussi :
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de Jaco van Dormael, et je le vois sur le grand écran, qui joue les gigolos dans une scène avec Catherine Deneuve. Je l’appelle pour le féliciter, et quand je l’ai en ligne, je lui demande comment sa famille a vécu l’affaire, et il me raconte qu’il ne leur a pas tout dit, qu’il s’est contenté d’expliquer qu’il accompagnait une vieille dame faire ses courses !

Je pense aussi que je voulais aussi parler de choses plus personnelles, qui entraient en résonance avec cette anecdote. Je viens d’un milieu de bourgeoisie provinciale. J’ai étudié le droit, avant de me retrouver à l’INSAS, une école artistique très engagée à gauche, en totale opposition avec ma culture d’origine. J’ai eu le sentiment d’être un transfuge, et j’ai pu me demander quelles étaient les valeurs de mon milieu d’origine que j’avais gardées, ce qui m’était resté de mon éducation.

Ce qui caractérise Habib, c’est le tiraillement entre ce qu’il aimerait faire, ce qu’il fait, et ce que ses parents aimeraient qu’il fasse. Il vit une sorte de crise de foi.
Oui, c’est une schizophrénie permanente. Quand on est soumis aux différentes injonctions des milieux qui nous déterminent, familiaux, professionnels, quand par manque d’assurance on veut correspondre à toutes ces injonctions, on perd un peu la tête. Si Habib affirmait fortement son identité dès le début, il n’y aurait pas d’histoire. Il est fragilisé, il a un peu honte de ses origines, ce qui le pousse à trop en faire, à être extrêmement perfectionniste. Même sa gentillesse est une manifestation d’une carence, d’un manque d’estime de soi. Je voulais faire une comédie sur une âme en tiraillement perpétuel.

Son "voyage héroïque", c’est une émancipation, pour comprendre son identité reçue afin de mieux reconstruire son identité. Si on y réfléchit bien, c’est l’histoire d’un mec qui finit par arriver à dire son prénom, ce qui est quand même un tendeur narratif assez faible quand on y pense (rires). C’était le pari du film, émouvoir le public avec quelqu’un qui arrive à dire son prénom. C’est une sorte de fable en fait.

Le défi aussi, c’est faire sourire de la honte, une émotion très violente.
Oui, d’autant que la honte, c’est très diffus, on ne sait pas d’où elle vient, souvent même on ne l’identifie pas comme honte. C’est le propre des comédies, cela dit, parler de choses graves en souriant.

Habib est en quête de valeurs qui lui correspondent, et il trouve des réponses chez Saint François d’Assise, personnage qui aujourd’hui renvoie à des notions comme l’ascétisme, la décroissance.
C’est une figure qui me fascine en dehors de tout dogme religieux. Affirmer que le bonheur est dans le dépouillement. C’est aussi un discours dans l’air du temps, on n’a plus vraiment d’autres alternatives. Pour Habib comme pour moi, ce personnage est très interpellant. Et puis j’ai été très touché par un livre de Christian Bobin, Le Très bas, une biographie revisitée de François d’Assise. C’est l’un des plus beaux livres que j’ai jamais lus, et ma fascination, comme celle d’Habib, vient en grande partie de là. Pour Habib, l’émancipation frontale face à son père est impossible, elle se fait à travers un texte. C’est aussi une reconnaissance du pouvoir de la littérature.

Comment avez-vous imaginé le personnage de Habib ?
J’ai beaucoup pensé à Buster Keaton, à John Turturro dans Barton Fink aussi. Un visage presque neutre. Que le spectateur puisse s’investir dans son impassibilité. J’aime cette mélancolie diffuse. Je ne m’épuise jamais à chercher ce qu’il y a au fond de Buster Keaton. C’est un personnage qui n’est pas très proactif, mais chez qui tout bouge à l’intérieur.

Bastien Ughetto avait ce côté lunaire que je recherchais, même si au début, c’était quand même un problème qu’il ne soit pas issu de la communauté maghrébine. J’ai cherché évidemment, mais en voyant Bastien, ça a été comme une évidence. Mais comme c’est une fable, et pas du tout un film naturaliste, je me suis dit que je pouvais me permettre ça. Je me suis accordé cette licence, c’était aussi une sorte de mise en abîme du sujet du film.

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