Stephan Komandarev • Réalisateur de Blaga’s Lessons
“Nous voulions dédier le film à la génération de nos parents, celle qui a été le plus lourdement affectée par la transition politique en Bulgarie”
par Mariana Hristova
- Le cinéaste bulgare chevronné revient pour nous sur les raisons personnelles qui l'ont amené à faire ce sixième long-métrage et nous en dit plus sur son actrice principale, entre autres
Nous avons rencontré Stephan Komandarev, dont le nouveau travail, Blaga’s Lessons [+lire aussi :
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fiche film], était en lice pour le Globe de cristal du 57e Festival international du film de Karlovy Vary. Ce titre est le troisième volet de sa trilogie sociale sur la Bulgarie d’aujourd’hui, après Taxi Sofia [+lire aussi :
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fiche film] (2017) et Rounds [+lire aussi :
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fiche film] (2019). En plus de livrer quelques détails intéressants sur ses recherches en matière d'arnaques au téléphone (un sujet central dans l’intrigue), Komandarev a partagé son avis personnel sur les perspectives d’avenir ternes de son pays.
Cineuropa : Ce troisième volet de votre logis diffère des deux premiers, dans le sens où le film ne se concentre plus sur un groupe professionnel, mais plutôt sur une strate sociale : celles des personnes âgées, parmi les plus vulnérables. Qu’est-ce qui vous a amené à opérer ce changement ?
Stephan Komandarev : L'idée des trois films était de composer des instantanés de la Bulgarie actuelle. Nous avons commencé avec les chauffeurs de taxi, dans Taxi Sofia, et continué avec des policiers dans Rounds, car ces deux professions sont en contact avec une grande variété de gens au quotidien. Ensuite, mon père, donc j'étais très proche, est décédé, de sorte que l’idée de faire un troisième film sur les retraités est venue assez naturellement. Avec mon coscénariste Simeon Ventsislavov, nous voulions dédier ce film à la génération de nos parents, qui a été la plus lourdement affectée par la transition politique en Bulgarie, après la chute du mur de Berlin, car elle les a privé des choses les plus basiques. Mon père était professeur à l’Académie des Sciences de Bulgarie, mais à la fin de sa vie, il avait du mal à payer le chauffage, donc je l’aidais. Sa retraite suffisait tout juste à payer ses médicaments.
Comment avez-vous travaillé sur le scénario ? Est-ce que cette histoire puise dans des faits réels ou pas du tout ?
Après avoir décidé du groupe social sur lequel nous voulions nous concentrer, nous sommes mis à chercher un cadre dramaturgique pour développer un conflit. Nous avons creusé le phénomène des arnaques au téléphone, car c’est quelque chose qui se produit régulièrement, et les seniors en sont généralement la cible. C’est aussi un point de départ pertinent pour une enquête sur ce qui est arrivé à la dignité des personnes âgées dans le monde post-communiste. Nous avons aussi fait des recherches sur le terrain pour savoir exactement comment ces arnaques fonctionnent. Nous avons été aidés par des policiers avec qui nous sommes devenus amis en faisant Taxi Sofia et par un journaliste d’investigation qui nous a présenté des victimes d’arnaque mais aussi un vrai arnaqueur téléphonique. Nous avons rencontré le gars en secret, et il a littéralement joué pour nous tous les scénarios courants. Ensuite, on a pris ce qu'il nous a montré et on l'a utilisé dans le film. Après avoir collecté suffisamment de faits et de témoignages, nous avons développé le scénario avec le soutien du Mediterranean Film Institute, de nouveau avec Nikos Panayotopoulos comme script doctor.
Comment avez-vous convenu convaincu Eli Skorcheva de participer ? C’est son grand come-back à l’écran après trente ans d’absence.
Ça s'est fait par hasard. Pendant la pandémie, notre directeur de casting, Alexander Kosev, est tombé sur Éli dans un parc où ils promenaient tous les deux leurs chiens. Il l'a reconnue et il lui a demandé si elle serait intéressée par l’idée de jouer de nouveau dans un film, après avoir volontairement renoncé à sa carrière de comédienne. Elle a dit qu’elle pourrait être tentée si le scénario était assez bon et heureusement, ce qu’on lui a envoyé, peu après, a retenu son attention. Cela dit, le personnage de Blaga est très différent de Skorcheva elle-même, qui est une personne très positive et enjouée.
Critiquer le capitalisme, en Bulgarie, c'est risqué, car on peut facilement être accusé de nourrir des penchants communistes, ce qui est une grave offense dans l'ancien bloc communiste. Cependant, Blaga's Lessons n’hésite pas à commenter durement les conséquences de l’économie de marché.
Sur trois décennies, la Bulgarie a perdu un tiers de sa population, et ce sans connaître de guerre. Beaucoup de gens éduqués et hautement qualifiés ont été happés par l’économie occidentale. Ensuite, ce sont les travailleurs mal payés qui sont partis. En parcourant le pays en voiture, on voit des tas d'usines abandonnées. Les écoles et les hôpitaux de province ferment, l'éducation a décliné de manière générale. Le film rend compte, en filigrane, de cette réalité. En somme, la Bulgarie est en train de devenir un pays périphérique dépeuplé, et ce pourquoi je me suis battu en manifestant dans les rues il y a trente ans est très loin de la situation dans laquelle nous sommes maintenant. Je ne sais pas si le système établi chez nous est le capitalisme ou un ersatz absurde, mais je peux courageusement affirmer que les attentes de ma génération n’ont pas été satisfaites, ni par le nouvel ordre établi, ni par le fait que nous ayons rejoint l'Union européenne. Le moins que je puisse faire est d’évoquer ces questions dans mes films.
(Traduit de l'anglais)
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