Behrooz Karamizade • Réalisateur de Empty Nets
“Je voulais laisser les jeunes Iraniens s'exprimer, et montrer au monde que l'Iran a aussi d'autres facettes"
par Teresa Vena
- Le réalisateur germano-iranien détaille pour nous le monde masculin de la pêche, les perspectives qui s'offrent à la jeune génération iranienne et son rapport personnel à la mer

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interview : Behrooz Karamizade
fiche film] de Behrooz Karamizade est une histoire d’amour émouvante doublée d’un portrait de la jeune génération iranienne. Cette coproduction germano-iranienne a été présentée en avant-première lors de sa sélection à Karlovy Vary. Nous avons discuté avec le réalisateur de l’univers très masculin de la pêche, des perspectives de la jeune génération iranienne et de sa relation avec la mer.
Cineuropa : Pourquoi avoir choisi l’univers de la pêche comme décor ?
Behrooz Karamizade : J’adore la mer. J’ai un lien affectif avec elle. Lors de mes voyages en Iran, je me suis rendu dans plusieurs villages de pêcheurs et leur manière de pêcher m’a fasciné. J’ai également été impressionné par leur manière de cohabiter, d’interagir, de dépendre les uns des autres lorsqu’ils partent en mer des mois durant, et qu’ils sont loin de leurs familles. Je voulais brosser un portrait précis de ce monde très masculin et je me suis demandé ce quel impact cette puissance masculine pouvait avoir. Que fait-elle à l’amour ? À la beauté ? À la nature ? Je pense que cette masculinité a fait beaucoup de dégâts dans nos vies. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi un héros jeune et naïf, je voulais voir ce qui lui arriverait.
En même temps, j’ai voulu créer un parallèle avec la nature. Lorsque nos valeurs sont détruites, la nature l’est aussi. Nous sommes prêts à tout détruire par intérêt. Mais il me semblait indispensable de montrer que parfois les gens n’ont pas d’autres alternatives. C’est le cas des personnages du film. Le chômage et la situation économique sont tellement catastrophiques qu’ils n’ont pas d’autres choix que de se retrouver dans cette situation.
Vous évoquez la pêche illégale. Comment avez-vous obtenu des informations à ce sujet ?
Au fil du temps, j’ai gagné la confiance des gens avec lesquels je vivais. C’est ce qui m’a permis d’obtenir des informations. Ils ont évoqué le sujet avec beaucoup de sincérité, même si la pêche illégale est très sévèrement punie et qu’ils risquent leur vie en la pratiquant. Le plus important pour moi était d’être authentique, c’est pourquoi j’ai filmé de véritables pêcheurs et de véritables braconniers, assistés par des acteurs professionnels.
Quand avez-vous su que vous aviez trouvé le bon acteur pour interpréter votre héros, Amir ?
Nous avons organisé un grand casting en Iran et avons auditionné un grand nombre de jeunes acteurs. Chacun avait des qualités susceptibles de convenir au rôle. Mais ce qui a été déterminant avec Hamid Reza Abbasi, c’est que c’était son premier grand film. Il n’avait pas terminé sa formation d’acteur. Il n’avait pas encore pris d’habitudes, il était pur. J’ai voulu utiliser cette naïveté pour le film.
Quels étaient les éléments les plus importants du personnage d’Amir ? À quel point vous êtes-vous inspiré de véritables personnes ?
J’ai croisé beaucoup de personnes comme Amir au cours de mes recherches. J’ai, par exemple, rencontré un jeune homme de 13 ans contraint de prendre la place de son père malade et de survivre dans cet univers masculin intraitable. J’ai vu son évolution. C’est également ce qui a confirmé ma décision de dresser le portrait de la jeune génération iranienne.
Vous utilisez le parcours d’une personne et une histoire d’amour pour décrire la société dans laquelle il vit. Que souhaitiez-vous exprimer de l’Iran d’aujourd’hui dans le film ?
Je voulais parler des jeunes, de cette génération qui vit aujourd’hui en Iran et que la situation économique actuelle prive de toute perspective. Un grand nombre de ces jeunes quitte le pays pour diverses raisons. D’une part, il y a évidemment la situation économique, et de l’autre, le manque de perspectives et la rigueur de la société. Qu’est-ce qui est autorisé et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Tout cela les plonge dans un état dépressif. Les jeunes ont le sentiment de ne pas pouvoir respirer. C’est ce que j’ai toujours ressenti. Ils ont aussi envie de beaucoup de choses. C’est ce que je voulais montrer, sans faire la morale. Pour y parvenir, j’ai opté pour trois personnages principaux, chacun avec son propre parcours, chacun incarnant des qualités différentes. Amir est celui travaille, celui qui lutte, Narges est issue d’une famille aisée, ancrée dans les traditions, les règles et les contraintes de la société. Et Omid incarne davantage un rêveur, un intellectuel. Qu’est-ce que ce monde fait à ces trois personnes ? Ils vivent des choses différentes. Je voulais laisser les jeunes Iraniens s'exprimer, et montrer au monde que l'Iran a aussi d'autres facettes.
(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)
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