KARLOVY VARY 2023 Séances spéciales
Tomáš Pavlíček et Jan Vejnar • Réalisateurs de She Came at Night
“Notre objectif était de créer un personnage ambivalent : parfois, on a envie de la tuer, parfois de la prendre dans ses bras”
par Marta Bałaga
- Le duo se régale à nous prouver que notre mère est notre plus grande source d'angoisse

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critique
interview : Tomáš Pavlíček et Jan Vejnar
fiche film] de Tomáš Pavlíček et Jan Vejnar, présenté en séance spéciale à Karlovy Vary, Jirka et Aneta (Jiří Rendl et Annette Nesvadbová) sont un couple normal, qui vit une vie normale, enfin jusqu'à ce que sa mère à lui (Simona Peková), une vraie diva, décide de leur rendre visite et... ne repart plus. Les petits heurts et les commentaires déplacés cèdent vite le pas à une guerre déclarée. Quelqu’un va devoir partir. Tout de suite.
Cineuropa : D’où est venue cette histoire ? On peut imaginer que beaucoup de gens dans le public se sont dit : "Je vois exactement de quoi ils parlent".
Jan Vejnar : Pour moi, ça a évolué à partir d’une simple réflexion sur le genre de film qu’on pouvait faire dans ces conditions limitées, et avec presque aucun budget. Les films d'invasion du domicile familial ont le potentiel de rester dramatiques tout du long sans changer de lieu. Ceci étant dit, Tomáš et moi pouvions aussi très facilement nous rapporter à cette situation.
Tomáš Pavlíček : J'ignorais totalement l’existence de ce sous-genre, du film d'invasion du domicile familial, avant que nous nous mettions à tourner, mais j’ai toujours été attiré par les petits films. Nous avons discuté de nos idées favorites et avons découvert que nous on partagions une : quelqu’un entre chez vous et refuse de partir. Que l'intrus soit la mère est une idée de Jan. J’adore creuser les relations et dynamiques familiales, donc je pouvais aisément m'y rapporter. Même si j’adore ma famille, parfois, je trouve qu'ils sont extrêmement difficiles à gérer.
Ce qui est intéressant, c'est que si la mère est clairement "la méchante" de l'histoire, vous semblez également la comprendre, et peut-être avoir de la compassion pour elle. Comment voyiez-vous ce personnage ?
T.P. : Notre objectif était de créer un personnage très ambivalent : parfois, on a envie de la tuer, parfois de la prendre dans ses bras. Les fragments qui la composent sont venus de l’observation de nos amis et des membres de nos familles respectives. Je connais beaucoup de gens avec des personnalités qui sont riches, profondes et empathiques, mais aussi presque toxiques et insupportables au quotidien.
J.V. : Valerie est quelqu'un de complexe. Elle est très probablement maniaco-dépressive et manipulatrice depuis toujours. Cependant, dans son cœur, c’est aussi une femme très seule qui voudrait tant être aimée. Hélas, son esprit chaotique déforme ce besoin et en fait un comportement agressif.
Pas étonnant, car il y a quelque chose de très passif dans ce couple. Cherchiez-vous à montrer aussi deux générations qui se heurtent ? Et que les gens plus âgés, s'ils sont dingues, sont en fait pleins de vie ?
J.V. : Il est clair dès le début qu’aucun deux n’est capable de réagir de manière adéquate aux différentes attaques. Ils mettent du temps à se rendre compte que la situation a dépassé certaines limites, aussi parce qu’ils ne font pas front ensemble.
T.P. : Pour les deux générations, nous avons essayé de saisir les éléments positifs ainsi que les éléments négatifs de l'approche qu'elles ont de la vie. Valerie vit chaque journée du mieux qu'elle peut, mais elle ignore souvent les gens qui l’entourent. Elle les vide de leur énergie comme un vampire et les laisse dévastés. De l’autre côté, le jeune couple est capable de beaucoup d’empathie. Ils analysent chaque situation et parlent de leurs émotions, mais quand il faut réagir, faire quelque chose, ça leur pose problème. Ils sont très sensibles, peut-être trop. Valerie dirait qu’ils sont plus faibles qu’elle. Beaucoup plus faibles !
Est-ce que ça vous intéressait de jouer avec les genres ici ? Il y a un peu de comédie et un peu de drame, et le titre fait carrément film d’horreur.
J.V. : Nous aimons bien mélanger plusieurs genres, en tant que réalisateurs, mais aussi en tant que spectateurs. Ça rend le film plus frais et plus ambigu. Mais ça renvoie à l'essence de la vie : on peut rarement être heureux sans que quelque chose ne nous turlupine. On peut rire et en même sentir cette tension.
Comment travaillez-vous en temps que co-réalisateurs ? Pensez-vous que vous allez poursuivre ce partenariat ?
T.P : Il n’y avait pas de directeur artistique sur le tournage, donc j'ai très souvent assuré ce rôle, pour que Jan économise son énergie et aborde les scènes avec un regard neuf. Mais aucune n'était bouclée tant que nous n'étions pas tous les deux contents du résultat final.
J.V. : Nous avons imaginé l’histoire ensemble, et puis nous avons divisé les scènes et nous les avons récrites, une par une. Pendant le tournage, nous nous sommes relayés pour communiquer avec les acteurs et notre chef opérateur, Šimon Dvořáček, en fonction de qui avait plus de choses à dire à ce moment-là. L'expérience dans son ensemble a été libératrice et amusante. Nous aimerions résolument continuer.
(Traduit de l'anglais)
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