Tinatin Kajrishvili • Réalisatrice de Citizen Saint
“Les gens sont mus par l'égoïsme et la peur, et ça s'applique à la société comme aux individus”
par Marta Bałaga
- La réalisatrice géorgienne plonge au coeur de nos croyances et de nos peurs dans son touchant nouveau film, dont l'action se déroule dans une communauté de mineurs

Dans le touchant Citizen Saint [+lire aussi :
critique
interview : Tinatin Kajrishvili
fiche film], présenté en compétition à Karlovy Vary (ce qui lui a valu les félicitations du jury oecuménique, lire l'article), la Géorgienne Tinatin Kajrishvili imagine ce qui se passerait si un saint, un dieu, devait un jour abandonner sa croix et faire face à ses adorateurs. Apparemment, rien de bon, du moins selon les mineurs d’une petite ville, soudain privés de leur seul protecteur.
Cineuropa : L'aspect visuel de Citizen Saint est logique, compte tenu du fait qu'il se passe dans une ville de mineurs. Discutiez-vous souvent avec votre directeur de la photographie par rapport au niveau d’obscurité maximum possible ?
Tinatin Kajrishvili : À vrai dire, j'ai été inspirée par ces gens. Ils passent vraiment la moitié de leur vie sous terre (même les moines des églises locales). Ils sont très courageux et modestes en même temps ; ils risquent la mort tous les jours, mais abordent tout de même la vie avec humour. Prenez la scène où les mineurs chantent pour le saint et le célèbrent, ce sont tous de vrais mineurs, il y a pas un seul acteur dans la scène, sauf celui qui joue le saint lui-même [George Babluani]. Quand nous leur expliquions la scène [avec le chef opérateur Krum Rodriguez], elle les a beaucoup inspirés. Ensuite, ils ont proposé de nous préparer un banquet à la géorgienne avec leur propre nourriture, qu’ils ont ramenée de chez eux. J'ai trouvé ça très touchant.
La spiritualité ici est abordée à travers un mélange d'éléments païens et de religion institutionnalisée, comme le montre une séquence où un couple refuse d'offrir leur animal à l’église, car il est pour le saint !
Je voulais mélanger les différentes méthodes qu'ont les gens de vénérer les dieux. Il y en a qu'on considère normales, parce qu’on y est déjà habitués, alors que d'autres peuvent sembler assez dérangeantes. Je suppose que ce film parle plus de nos croyances et de nos espoirs que d'une religion en particulier.
D'une certaine manière, le film pose un regard déprimant sur l’humanité. Quand on est face à un vrai miracle (du moins c’est l’idée), on prend peur ou on se comporte égoïstement.
Nous croyons tous dans les miracles, mais nous y mettons des limites variables en fonction de chacun. Oui, les gens peuvent prendre peur et se conduire de manière égoïste, et ça s’applique à la société comme aux individus, car j’essaie de ne pas trop séparer les deux. C’est une des raisons pour lesquelles le saint est muet. Quand les mineurs lui parlent et qu’ils ne reçoivent pas de réponse, ils imaginent simplement la réponse qui les réconforte le plus. Ils font comme si (ou croient vraiment) elle venait vraiment de lui.
Parfois, on a l’impression d'être devant un film des années 1960. Il y a quelque chose de très rétro dans ce film, mais aussi quelque chose de très actuel dans leur peur. Ils ont peur d’être seuls, ou de perdre leur seule protection.
C’est un film sur les peurs, les espoirs et les croyances, donc bien sûr que je ne peux pas séparer ceci du monde aujourd’hui. Cela dit, comme le sujet du film me semble atemporel, j'ai essayé de décrire le monde où il se passe de la même manière.
Que vouliez-vous de vos acteurs, cette fois ? Ce qu’ils font est toujours très subtil.
La plupart d’entre eux ont déjà joué dans mes films. Mari Kitia avait un des rôles principaux dans Brides [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Tinatin Kajrishvili
fiche film], Giorgi Bochorishvili était dans Horizon [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Tinatin Kajrishvili
fiche film], ainsi que le couple avec le mouton que vous venez de mentionner. Nous nous connaissons depuis longtemps, nous nous faisons confiance ; ensemble, nous nous permettons d’aller aussi loin que nous le pouvons. J’adore mélanger les acteurs et les locaux dans mes films, mais mes acteurs se sont tellement habitués aux vraies mines qu'il devenait difficile de dire qui était qui. Tous les membres de l’équipe portaient des habits de mineurs, et ils jouent dans le film aussi. Ceux qu’on voit le plus sont le chef décorateur et tous ses assistants.
Vous dites que le sujet du film vous semble "atemporel". Est-ce que c’est une chose qui vous intéresse, en tant que cinéaste, de raconter des histoires atemporelles ?
Je préfère éviter les éléments qui indiquent la période où on se situe. Visuellement, je ne trouve pas ça attrayant. Je me sens davantage connectée aux choses qui portent des traces de vie. En Géorgie, nous avons de la chance à ce niveau-là : on peut trouver des lieux ou objets qui ont ce charme du passé.
(Traduit de l'anglais)
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.