Leonor Teles • Réalisatrice de Baan
“Tout le film essaie de dépeindre un état d'esprit”
par Marta Bałaga
- Dans son nouveau long-métrage comme réalisatrice, la cheffe opératrice s'embarque dans une quête douce-amère du lieu où l'on se sent chez soi

L. (Carolina Miragaia) est dans un espace intermédiaire, elle cherche celui qu’elle pourra enfin appeler son "chez elle", et c'est la même chose pour K. (Meghna Lall). Elles se rencontrent, elles parlent et deviennent rapidement très proches, mais toute deux ont aussi très peur de s'engager pleinement, dans une ville, un pays ou leurs rapports avec les gens. Nous avons interrogé la réalisatrice portugaise Leonor Teles sur Baan [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Leonor Teles
fiche film], en compétition à Locarno.
Cineuropa : Se sentir à mi-chemin entre deux pays est un état d’âme très particulier. Je suppose que vous l’avez vécu ?
Leonor Teles : En effet. Quand je fais un film, il faut que je sache de quoi je parle. Je dois parler de choses que je reconnais, qui sont pour moi très intéressantes et urgentes. Cette idée de définition de ce qu'est un "chez soi", de ce que ça peut être, me tient beaucoup à coeur.
On sent un peu de tristesse et de mélancolie dans le film. Votre personnage est tellement solitaire.
Je pense que cette génération, ma génération, est comme ça. On se sent vraiment un besoin de comprendre qui on est, ce qu’on veut faire et où l'on veut être. Parfois, il faut aller très loin pour se rendre compte qu'il vaudrait peut-être mieux revenir sur ses pas. Toute la technologie est censée nous aider à nous connecter entre nous, mais souvent, l'idée est de vivre l'instant : on rencontre quelqu’un, une inconnue, et on parle – pas parce qu'on se sent instantanément proche, mais pour ne pas se retrouver de nouveau seul(e). Accepter cette solitude peut être tellement dur pour les gens.
C’est ce qui est intéressant dans cette histoire d’amour naissante : on a deux personnes qui sont constamment en mouvement, alors comment peuvent-elles réellement construire quelque chose de durable ?
Quand on trouve quelqu’un qui a ressenti les mêmes choses que soi, on se sent compris. Elles bougent tout le temps, c'est vrai, mais elles comprennent aussi ce que cela implique. Il y a tellement de gens qui veulent s’échapper, mais qui n’ont pas le courage de le faire. Et puis il y a ceux qui arrivent facilement à tout quitter. Pour K., c’est juste plus facile. Ça tient aux personnes qu'elles sont, chacune avec sa personnalité propre. Par ailleurs, une autre personne peut devenir votre "chez vous", mais ça n'engage ni l'une ni l'autre pour toujours. Il faut accepter que tout dans la vie ne va pas être comme vous le voulez. En gros, il faut composer avec ses frustrations et espérer que tout ira au mieux.
En tant que cheffe opératrice qui vient de passer à la réalisation, avez-vous trouvé cela difficile ?
Je n'avais pourtant aucune intention de réaliser des films, c'est juste arrivé tout seul, en quelques sortes. J’ai toujours aimé la photographie, toujours trouvé les images fascinantes, et je veux continuer de faire ça, ça reste mon métier principal, mais certaines choses me faisaient me sentir très agitée, et j’avais besoin d’en parler. J’avais besoin de faire ce film. Ça n'a pas été une mince affaire, car c’est très dur, la réalisation. C’est une telle responsabilité que de s’assurer que tous les éléments qu’on est en train de réunir fonctionnent vraiment. Aussi, je ne pourrais pas tout simplement cesser d’être cheffe opératrice, même en étant à la réalisation. J’aime beaucoup trop la caméra.
C'est drôle que vous utilisiez le mot "agitée", parce qu’il y a des scènes dans le film où votre caméra aussi est très agitée.
Tout le film essaie de dépeindre un état d'âme. L. est toujours coincée dans sa tête, la question était : comment puis-je montrer ça ? Elle n’est pas pleinement dans le moment, dans le présent, parce qu’elle pense à quelque chose d’autre ou rêve de quelque chose qu’elle veut. J’avais besoin de m’assurer que le spectateur resterait avec elle, qu'il ressente la même chose qu'elle. L'essence de Baan est plus dans les émotions, ce n'est pas un récit au sens classique.
Craigniez-vous de parler de race dans le film ? Contrairement à K., votre héroïne ne subit pas elle-même ces problèmes-là.
Quand on rencontre quelqu’un de nouveau, cette personne peut vous amener vers un monde nouveau pour vous, vous montrer quelque chose que vous n’aviez pas remarqué avant. Ensuite, si tout va bien, on peut difficilement revenir en arrière. Ça c'est du moins passé comme ça pour moi. L. se met à voir une facette différente de cette ville, et c'est tellement important, d’ouvrir ses yeux comme ça. Ici, en Europe, nous sommes très préoccupés par ce qui se passe... en Europe. Nous avons tendance à oublier le reste du monde, je trouve, alors qu'il y a tellement de gens pour qui c'est dur. Nous avons encore des droits, nous pouvons parler librement, mais pour d'autres, ce n'est tout simplement pas le cas. C’est important de laisser de la place pour les batailles autres que celles qui nous concernent.
(Traduit de l'anglais)
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