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LOCARNO 2023 Compétition

Sylvain George • Réalisateur de Nuit obscure — au revoir ici, n’importe où

"La nuit, les règles n’existent plus"

par 

- Dans ce film sur un groupe de mineurs marocains qui rêvent de rejoindre l'Europe, mais restent bloqués à Melilla, le réalisateur français s’enfonce dans l'obscurité

Sylvain George  • Réalisateur de Nuit obscure — au revoir ici, n’importe où

Le film en noir et blanc Nuit obscure - Au revoir ici, n'importe où [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Sylvain George
fiche film
]
de Sylvain George, qui a décroché une mention spéciale en compétition au Festival de Locarno (lire l'article), suit un groupe de jeunes Marocains qui rêvent de s'échapper vers l’Europe, mais sont encore coincés à Melilla. Maltraités et solitaires, ils se mettent à former une petite famille et la nuit, s'emparent de la ville.

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Cineuropa : Vous posez dans ce film des questions importantes, mais ne craigniez-vous pas d’aliéner le spectateur en lui donnant une telle durée ?
Sylvain George : Quand je commence à travailler, j’ai quelques idées, mais il est nécessaire que les choses changent par la suite. Il est tellement important de rester ouvert comme ça. Que j’obtienne ça en trois secondes ou vingt-trois heures ne fait aucune différence pour moi. Je ne crois pas que nous devions nous soumettre à un format fixe. Lav Diaz, qui était également en compétition à Locarno cette année, fait ça aussi. S'il sent qu’il doit faire un film de trois heures, il le fait, mais si le film demande dix heures, ce n’est pas un problème.

Je ne voulais pas faire un film sur "les réfugiés" : j'ai essayé de comprendre comment fonctionnent les politiques d'immigration et la manière dont les pays européens élaborent ces textes. J'ai commencé à Calais, avec Qu'ils reposent en révolte (Des figures de guerre), et maintenant, me voilà à Melilla, mais l'idée est toujours d’essayer de comprendre les conséquences. J’avais besoin de temps pour comprendre le rythme de la vie de ces jeunes, pour montrer comment leurs journées commencent et comment elles se terminent. On les appelle arrāga, c'est-à-dire "ceux qui brûlent". Ils brûlent leur carte d'identité, ils 'brûlent la mer". Je ne voulais pas les regarder de haut, jamais. Nous connaissons tous des films où des gens comme eux sont dépeints comme des victimes. On les regarde, on pleure un coup et on se sent réconforté par rapport à soi-même.

Ce qui distingue Nuit obscure, c'est aussi un ton très joueur. Ces garçons ne se plaignent pas, ils continuent de mener leur journée.
Quand ils cachent de la nourriture et des vêtements dans les égouts, c’est une autre conséquence de ces politiques que je viens de mentionner, mais ils ont trouvé une manière de les déconstruire : c’est un jeu. Ils ont été meurtris, battus même, mais parfois ils veulent juste jouer (avec la police, avec les autorités). On a cette expression qui dit "la porte joue sur ses gonds". Ils prouvent que c’est bel et bien possible, qu'il est possible d’ouvrir le monde à quelque chose de nouveau. Ce film peut être dur, parfois, mais oui, il y a de la joie là-dedans.

De nombreuses histoires sur les migrants se concentrent sur leur voyage : comment êtes-vous arrivés ici ? Qu’est-ce qu'il s’est passé ? Ce n’est certainement pas la direction dans laquelle vous allez.
Je me disais qu'il serait plus intéressant d’exprimer les choses via des images. Je ne voulais pas faire un documentaire à partir de témoignages larmoyants, je ne saurais même pas comment faire. Par ailleurs, ces garçons ne parlent pas vraiment de leur passé. Ils se concentrent sur le présent, sur la lutte, sur leurs amitiés. Il était important de respecter cela. Quand deux d'entre eux se sont vraiment rapprochés, alors oui, ils se sont mis à parler.

Pendant le transit, ils ne parlent pas beaucoup non plus. Ça prend tellement d’énergie (certains prennent des drogues pour survivre au voyage). L’un d'eux a été victime d’abus sexuels, mais il ne le dirait jamais à ses amis. Un peu plus tard, quand leur situation se stabilise, tous ces souvenirs reviennent, et les choses deviennent violentes : ils s'auto-mutilent ou perdent toute envie de vivre. Ils commencent à comprendre ce qui leur est vraiment arrivé. Je ne les forcerais jamais à partager ça.

Comme vous ne faites pas ça, on oublie facilement que vous êtes là. A-t-il été difficile de vous mêler à eux de cette manière ?
Je ne faisais pas un film sur eux. L'idée était de découvrir cette réalité avec eux. Pour moi, le temps était vraiment la clef. Si vous passez du temps avec vos personnages, ça génère de l’intimité. Récemment, on m'a accusé de faire un film sur des enfants "sauvages", mais c'est ce système et le passé colonial de cette ville qui les ont mis dans cette position, pas moi.

En regardant votre film, quelque chose me faisait bizarre, et alors je me suis rendu compte que c’était parce que dans mon esprit, la nuit n’appartient pas aux enfants. Sauf que c'est là qu'eux deviennent les maîtres de la ville.
Ils peuvent se l'approprier, sauter les barrières. Dans ce sens, la nuit est politique. Leurs gestes changent et tout est calme (personne ne crie sur eux). Je ne montre pas tellement d’interactions avec les locaux, mais si certains leur donnent de la nourriture et des vêtements de temps en temps, ces rencontres peuvent aussi être violentes. La nuit, les règles ne s’appliquent pas.

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(Traduit de l'anglais)

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